Le lit d'Aliénor
spasmes :
– Pourquoi la mort ne me veut-elle pas ? Pourquoi ? Pourquoi ?
– Qu’aurait-elle à faire de ta jeunesse et de ta beauté ?
– J’ai tué Raymond… C’est à cause de moi qu’il s’est entêté malgré la décision de Louis.
– Et c’est à cause de toi que Louis a fait de même. Je sais ce que tu ressens, mais tu n’y peux plus rien changer, ma douce.
– Il était tout, tu comprends ? Tout ce qui me restait de chez moi. De mon véritable chez-moi. Je n’ai plus rien. Plus rien…
– Tu as Marie…, murmurai-je doucement, me souvenant qu’à deux reprises déjà la pensée de sa fille lui avait donné le courage de relever la tête.
Mais cette fois elle n’eut aucune réaction.
– Louis paiera, dit-elle après un long moment, avec une soudaine résolution.
– Que feras-tu, ma douce ? Dieu n’a épargné personne. Ni Raymond, ni toi, ni Louis. Il est méconnaissable depuis que tu es tombée malade, il n’est plus que l’ombre de lui-même. La mort de ton oncle l’a profondément affecté. Je sais qu’il s’en tient pour responsable.
– Il l’est ! cria-t-elle en redressant la tête.
Elle répéta :
– Il l’est !
– Il en porte le poids sur la conscience et, plus encore que toi, il doit vivre avec cela.
– Je vais demander l’annulation de mon mariage. Je ne veux plus vivre avec Louis, tu entends. Je ne veux plus qu’il m’approche, je ne veux plus qu’il pose ses mains sur moi, je ne veux plus qu’il lève seulement ses yeux sur moi.
– Tu dois pour cela obtenir une audience auprès de Sa Sainteté.
– Qu’à cela ne tienne !
Elle s’arracha de mes bras et repoussa les couvertures. Lorsqu’elle posa résolument un pied à terre pour se lever, ses forces l’abandonnèrent et un vertige la cueillit, qui la rassit sur le lit. Je la raisonnai comme une enfant :
– Voilà plusieurs semaines que tu ne manges ni ne te lèves. Crois-tu pouvoir ainsi faire face à la raison d’Etat ? Je vais te faire porter du bouillon.
– Au diable le bouillon ! ragea-t-elle en massant ses mollets affaiblis par l’inactivité. Fais donc monter de la véritable nourriture. J’ai faim de poularde et de poisson, de sauces et d’entremets, sans oublier du vin.
– Voici qui va ravir notre hôte, Votre Majesté, acquiesçai-je dans un éclat de rire.
C’est alors que son regard accrocha ma taille qui, malgré tous mes efforts, s’était épaissie. Elle écarquilla les yeux et sa bouche s’arrêta sur un joli « oh ! » de surprise. Mon rire retomba aussitôt. Je ne pourrais cacher bien longtemps encore mon infortune. Je revins vers elle et, m’agenouillant, je pris sa main et la posai sur mon ventre. Au même moment, le bébé bougea et envoya un coup qui fit tressauter sa paume. Son sourire s’élargit, tandis que des larmes lui venaient aux yeux.
– Enceinte ! Tu es enceinte ! Oh, Loanna ! C’est merveilleux.
Elle m’enlaça tendrement, comme une sœur. Heureuse soudain, alors qu’elle avait oublié jusqu’au sens de ce mot.
– Tu ne dois rien dire pourtant. À personne, suppliai-je.
– Tu veux dire que…
Je secouai la tête. Elle eut un moment d’interrogation muette, le temps de rassembler en elle toutes les données d’une situation qui lui échappait, puis me prit les mains.
– Il va falloir songer aux épousailles, Loanna.
– Dès notre retour en France, je te le promets. Pour l’heure, que cela reste entre nous, je t’en conjure. Pour rien au monde je ne voudrais précipiter les choses, et tu connais Jaufré, s’il savait que je porte son enfant, il demanderait à l’évêque de nous unir sur-le-champ. Cela ferait jaser.
– Si tu attends trop, jamais l’Église ne consentira à bénir votre union avant que l’enfant soit né. On ne marie pas une damoiselle qui porte gros ventre le jour de la cérémonie, c’est contraire à toutes les règles. Tu en as conscience ?
– Ne t’en fais pas pour moi. J’ai déjà songé à cela. Dès notre retour en France, tu répudieras Louis et j’épouserai Jaufré.
– Et je serai seule…
– Point, ma reine, je t’en fais serment devant Dieu. Ton destin n’est pas de vieillir sans royaume.
– Si je perds celui de Louis, que me restera-t-il sinon une Aquitaine dont je devrai me défendre ? Certains de mes vassaux ne manqueront pas d’essayer de m’épouser de gré ou de force pour gagner ce duché tant convoité.
– Le temps
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