Le lit d'Aliénor
statue sainte, Dieu les avait soutenus. Mais, depuis qu’ils brûlaient leurs chairs dans des jeux pervers, tout autour de lui s’était écroulé. Louis s’était laissé aller avec elle à des pratiques de sodomie et bien d’autres errements que son confesseur avait qualifiés de sataniques et d’impurs. Jeûne et pénitence n’avaient rien changé et il payait lourdement son tribut, sentant bien au fond de lui que la peau douce et soyeuse de Béatrice lui manquait et que le moindre de ses regards lui retournait le sang. Louis était malheureux. Béatrice était malheureuse. Et Aliénor jubilait d’une joie mesquine. Car elle savait que jamais Béatrice ne serait reine de France après elle. Malgré tout leur amour, la raison d’État contraindrait Louis à épouser une dot qu’elle n’avait pas. C’était sans doute pourquoi Béatrice avait réclamé comme une faveur que Louis la donne à un de ses vassaux, celui en lequel il aurait le plus de confiance.
Le pape Eugène III reçut leur requête d’un œil sévère. Il n’avait pas oublié que l’un de ses prédécesseurs avait dû excommunier Pernelle et Raoul de Vermandois, soutenus par la reine dans leur affront. Il ne vit pas davantage d’un bon œil les griefs du roi à l’encontre de son épouse et le fait que l’on brandît une fois de plus le droit canonique comme s’il s’était agi d’une simple formalité. Il les sermonna fermement, puis leur enjoignit de méditer l’un et l’autre sur les devoirs sacrés du mariage.
Au bout de quelques jours, au cours desquels ils s’entretinrent longuement, j’eus la sensation d’un revirement de situation. Non que cela fût visible ni même concrétisé dans les faits, mais l’un et l’autre semblaient abattus, et revenaient de ces entretiens en pénitents et vraisemblablement épuisés. Ils s’affrontèrent ainsi tous trois ¡une dizaine de jours, puis, un matin, Aliénor et Louis parurent ¡ensemble, au bras l’un de l’autre. L’on apprit qu’ils avaient fait ¡chambre commune et que le pape les avait réconciliés. J’eus l’impression que le sol se dérobait sous mes pieds. Aliénor s’avança vers moi. Elle m’offrit un sourire navré dans lequel je lus qu’elle avait demandé à Dieu la miséricorde autant que le pardon et qu’elle les avait obtenus. Nous n’avions plus qu’à rentrer en France pour célébrer l’heureuse nouvelle et unir Nord et Sud autour du couple reconstitué.
C’était à mon tour d’être brisée. Tous mes projets perdaient leur sens. Cela aurait été une trahison envers mes ancêtres, envers mère, envers Mathilde ma marraine et surtout envers Henri. Je ne pouvais plus épouser Jaufré, pas davantage que je ne pouvais mettre au monde cet enfant. Pourtant, n’était-il pas trop tard ? J’étais enceinte de presque cinq mois. Et, pis encore, j’aimais cette vie à l’intérieur de moi. Or, qu’y avait-il de plus important que l’amour ? Ne m’avait-on pas déjà mise en garde alors que je sous-estimais ses pouvoirs ? Que pouvais-je faire sans me trahir encore, sans trahir ceux auxquels mon destin était lié ? Je ne savais plus.
Jaufré paraissait heureux de regagner enfin la France. J’avais obtenu de lui qu’il ne demande pas encore ma main à Louis, mais pendant combien de temps ? La nuit qui suivit cette terrible nouvelle de réconciliation, je restai seule devant la fenêtre, cherchant au travers des nuages épais et noirs la présence de la mère éternelle, cette lune immense et sacrée que mes ancêtres vénéraient. Lorsque le coq chanta, je n’avais pas trouvé de réponse à mes interrogations. Le ciel était toujours aussi sombre au-dessus de la ville et de grands éclairs fulgurants cinglaient l’air lourd comme pour mieux me déchirer.
Dans la chambre voisine, Aliénor et Louis avaient de nouveau passé la nuit ensemble, et, malgré le dégoût d’Aliénor pour ses mains blanches, ils s’étaient probablement unis. Tout était à recommencer. Encore et encore. Combien de temps faudrait-il ? Aliénor ne devait pas plus qu’hier donner un fils à Louis, et à elle seule cette obligation m’empêchait de m’éloigner de la cour. Tout était confus. Mes sentiments comme ma raison.
Camille, ma chambrière, entra pour m’aider à me vêtir et me sermonna gentiment en voyant que ma couche n’était pas seulement défaite. À cet instant, je l’enviai de n’être rien. Mais, au fond, ne vivais-je pas
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