Le lit d'Aliénor
viendra, ma reine, où Louis portera avec regret le poids de ses erreurs. Aie confiance en moi.
– En qui d’autre pourrais-je avoir confiance ? Je t’aime tant.
– Je t’aime aussi. Je n’aurais pas supporté de te perdre.
Aliénor mangea tant ce jour-là qu’elle surprit tout le monde. En fin d’après-midi, elle paraissait à l’office dans une robe étincelante, amaigrie et les yeux cernés, mais plus majestueuse que jamais. Elle communia aux côtés du roi et lui accorda même un sourire dans lequel je fus seule à reconnaître le rictus de la vengeance. J’avais retrouvé ma reine, et Louis avait désormais auprès de lui la plus grande de ses ennemies.
8
Cela faisait maintenant deux semaines que j’interdisais ma couche à Jaufré, prétextant une maladie contagieuse contractée dans les pays chauds. Je serrais mes robes autant que possible, jusqu’à étouffer mon ventre rebondi. Fort heureusement, ma constitution accusait à peine mon état. Mathilde m’avait souvent rapporté que mère n’avait eu de signes évidents de sa grossesse qu’au début du septième mois. Il semblait que j’avais hérité d’elle et je m’en félicitais. À peine notait-on quelques rondeurs qui pouvaient être attribuées à la chère méditerranéenne abondante et savoureuse dont je prétendais faire excès.
Jaufré, quoi qu’il en fût, ne s’apercevait de rien. D’ailleurs, il ne me tint nullement rigueur de cet isolement, et j’eus même la sensation que cela le soulageait. Depuis quelque temps déjà, j’avais remarqué qu’il n’était pas au mieux, mais j’attribuais son silence et sa mélancolie au fait que ses compagnons nous avaient quittés depuis que nous avions accosté en Sicile. On demandait leur talent partout, et conquérir l’Italie leur plaisait. En outre, Bernard de Ventadour avait jugé plus prudent de s’éloigner de la reine jusqu’à son entrevue avec le pape. Il valait mieux éviter les ragots. Jaufré restait donc seul à suivre notre équipée. Quelques seigneurs eux aussi, assurés que le roi et la reine étaient à même de rentrer en France sans courir de dangers, étaient partis en avant-garde pour mettre à jour leurs affaires, trop longtemps laissées aux mains des femmes, des fils ou des intendants.
Suger donnait régulièrement des nouvelles du royaume et celui-ci paraissait en paix, chacun ayant été bien trop occupé avec la croisade pour fomenter de véritable révolte ou guerroyer contre ses voisins. Il insistait pourtant sur le fait que le roi et la reine ne devraient plus tarder, car, à présent que les seigneurs avaient regagné leurs domaines, des bruits circulaient. Robert de Dreux, le premier, songeait à s’insurger, depuis que les événements d’Antioche l’avaient placé en disgrâce auprès du roi, son frère. Il avait mal digéré que le complot tramé contre la reine à travers moi se solde par des fièvres dont Etienne de Blois et lui-même avaient eu grand mal à. se remettre.
Geoffroi de Rançon et bien d’autres Aquitains avaient eux aussi regagné leurs foyers par bateau. De part et d’autre, du Sud et du Nord, on ruminait une rancœur qui laissait augurer un inévitable affrontement.
Pour le reste, Louis n’avait rien dit. Il avait entendu la décision d’Aliénor sans broncher, avait demandé si elle avait songé aux conséquences de son acte, et s’était contenté de conclure qu’il ne lui pardonnait pas son infidélité avec Raymond, même s’il regrettait sa mort. L’un et l’autre étaient donc partis pour Tusculum rencontrer le pape, avec la ferme résolution de se séparer. Nous n’étions plus qu’une dizaine dans leur sillage. La veille du départ, Béatrice de Campan avait demandé au roi de la marier, créant une surprise générale. Louis lui-même avait semblé ébranlé par cette requête. Il avait dégluti péniblement, puis avait affirmé qu’il y songerait à leur retour en France ; Béatrice étant la pupille de Suger, c’était au vieil homme d’approuver le choix qu’elle ferait parmi les nombreux prétendants qui l’entouraient et que, jusqu’à ce jour, elle avait repoussés avec véhémence.
Louis se sentait coupable. Pas plus avec elle qu’avec Aliénor, il n’avait admis les exigences de sa chair et il croyait fermement que la mort de Raymond était un signe de Dieu destiné à le punir de son infidélité à la reine.
Tant qu’il avait vénéré Béatrice telle une
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