Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
seule chose qu’elle m’apprit fut que le roi se rendait plusieurs fois par jour auprès de l’évêque et qu’ensemble ils avaient de longues conversations. J’aurais pu faire appel à la magie pour entrevoir leur secret, mais les risques étaient bien trop grands. Le fait qu’il évitât Aliénor autant que Béatrice suffisait au fond à étouffer la plus grande de mes craintes. Si le roi s’était rapproché de quelqu’un, c’était du Christ et non d’une femme. De fait, Louis s’était fait octroyer une cellule dans le monastère attenant à la cathédrale.
    Au bout de quelques jours, il eut une autre conversation, avec Roger de Sicile cette fois. Là encore, rien ne transpira de ce que se dirent les deux hommes, mais à l’issue de cet entretien Louis ne reparut pas aux banquets, prétextant qu’on l’avait assigné à faire pénitence et à jeûner. Il resta ainsi plus de deux semaines loin de tout et de tous, comme il l’avait fait après le siège de Damas.
    Roger de Sicile se montra charmant et fit de son mieux pour nous distraire, de sorte que bientôt nous ne nous inquiétâmes plus de savoir ce qu’il advenait du roi de France. Je surveillais pourtant avec une attention croissante mon tour de taille, mangeant le moins possible pour qu’il ne paraisse pas trop vite déformé par l’enfant. Désormais, je la sentais vivre en moi, et c’était une sensation étrange et unique. Chaleureuse, tendre, douce, elle me remplissait, et les caresses de Jaufré semblaient chaque jour plus apaisantes et sensuelles. Comme si ma peau tout entière tendue par cet acte d’amour appelait plus encore le sien. J’étais bien.
    Aliénor poussa un cri déchirant. Le bref s’échappa d’entre ses mains et je n’eus pas même le temps de la retenir qu’elle s’affaissa d’un bloc sur le sol de mosaïque.
    – Que l’on porte les sels ! criai-je à l’attention d’une des suivantes de la reine de Sicile.
    Elle dut comprendre mon injonction, puisqu’elle s’élança en relevant ses jupons couleur d’andrinople en direction de l’office.
    Nous étions paisiblement occupées à tisser une superbe bannière mêlant les couleurs de France à celles de Sicile, que nous avions choisi d’offrir à l’un et l’autre roi. Puis un messager était entré, qui s’était incliné devant Aliénor et lui avait remis un pli sans autre explication. Maintenant une des suivantes, Paola, je crois, me le tendait. Je saisis vaguement qu’elle avait dû avoir le même cheminement d’idée que moi. Tandis que Paola débouchait le flacon de sels qu’on venait d’apporter pour les faire respirer à Aliénor, je déchiffrai les lignes fines et délicates. Un haut-le-cœur me saisit. Le pli portait la signature de Constance. Elle nous apprenait la mort de Raymond d’Antioche, décapité en combattant contre Nür al-Dîn à Maaratha. Ainsi Aliénor avait vu juste lorsqu’elle avait prédit qu’elle ne reverrait jamais Raymond et que l’entêtement de Louis vers Jérusalem causerait sa perte.
    Un soupir douloureux me ramena vers elle. Elle avait repris ses esprits et avec eux la pleine conscience de l’affreuse nouvelle. Je n’eus que le temps cette fois de m’agenouiller auprès d’elle et de l’entourer de mes bras avant qu’elle n’éclate en sanglots convulsifs, poussant de longs hurlements de douleur.
     
    Cela faisait maintenant un mois qu’Aliénor refusait de quitter sa chambre, faisant porter jusqu’à son lit de maigres bouillons qu’il fallait réchauffer plusieurs fois avant qu’elle parvienne à les avaler. La reine était malade. Les plus grands apothicaires de Sicile étaient à son chevet et ne parvenaient malgré leur science à trouver la cause de son mal. Quant à Louis, désemparé, il venait souvent lui rendre visite, n’obtenant pour son affection soudaine qu’un regard de mépris et un geste de lassitude qui le renvoyait tôt fait auprès de ses confesseurs. Roger de Sicile et son épouse se montraient désolés. Ils étaient l’un et l’autre aussi attentionnés que possible, ne négligeant rien qui pût faire plaisir à la reine et lui donner envie de se battre.
    Car le véritable problème était là. Aliénor ne se remettait pas de la mort de son oncle. Les jours qui avaient suivi cette triste nouvelle, elle avait pleuré beaucoup, puis avait semblé se ressaisir. Je savais pour ma part qu’il n’en était rien. Pire encore que la douleur d’avoir perdu un être aussi

Weitere Kostenlose Bücher