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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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protéger puisque j’en ai fait le serment, mais pour vous chérir jusqu’à la fin de mes jours.
    Il était sincère autant qu’ému. Instinctivement, je portai ma main à sa joue. Son attention, sa délicatesse me touchaient infiniment. Alors, il m’attira dans ses bras et m’embrassa avec fougue. Je m’abandonnai à son étreinte. Jaufré me manquait tant !
    Cette seule pensée me fit repousser Geoffroi avec douceur et fermeté.
    – Pardonnez-moi, bredouilla-t-il, imaginant sans doute que j’avais jugé déplacée sa soudaine hardiesse.
    – Non, affirmai-je, c’est à vous de me pardonner, Geoffroi. Depuis que Jaufré est mort, je me sens, il est vrai, désespérément seule. Et davantage encore depuis que j’ai perdu son enfant.
    Il blêmit, mais n’osa aucun commentaire. Il avait bien trop de tact pour cela. J’estimai cependant qu’il devait savoir :
    – Je vais avoir trente ans, Geoffroi. Il serait stupide d’imaginer que je n’ai pas connu d’hommes. Pourtant Jaufré a été le seul. Et, depuis sa fin, nul autre n’a eu sa place dans ma couche. Certes, ce n’est sans doute pas très chrétien de s’abandonner ainsi avant le mariage, et je vous assure que l’abbé Suger m’a grandement fait la leçon, appelant sur moi toutes les foudres du ciel. Comme vous le savez, Jaufré et moi devions nous marier à son retour de Tripoli. Il est parti sans savoir que j’étais enceinte. J’ai dissimulé cette grossesse autant que je l’ai pu, envisageant d’aller mettre l’enfant au monde en Normandie dans le plus grand secret. Béatrice de Campan est responsable de ma fausse couche. Vous en raconter en détail les circonstances serait bien trop long, mais je veux croire que vous avez suffisamment confiance en moi pour ne pas douter de mes dires.
    Il hocha la tête en signe d’assentiment, et je poursuivis en frissonnant sans le quitter des yeux :
    – Je sais que Béatrice a reçu ce jourd’hui le châtiment divin pour ce crime et tant d’autres, et c’est la raison pour laquelle je n’ai pas de remords quant à mes sentiments. Je vous respecte, Geoffroi, mais je ne peux vous aimer. Jaufré a pris mon âme, elle ne m’appartient plus.
    Il passa son bras autour de mes épaules pour m’envelopper de son mantel. Je n’eus pas le cœur de le repousser une nouvelle fois. D’ailleurs, il se contenta de m’attirer à lui. Dans un soupir, j’abandonnai ma tête sur son épaule massive. Sa voix grave me réconforta :
    – J’ai perdu mon épouse cet hiver. C’était une brave femme, qui m’a donné deux fils. Je ne l’ai jamais aimée et elle m’a supporté de même. Mais je veux croire qu’elle a vécu heureuse avant que cette fièvre ne l’emporte. Je porterai son deuil une année ainsi que le veut la coutume, ensuite je serai libre de prendre épouse de nouveau. Je saurai vous attendre, Loanna. Peut-être parviendrez-vous, non pas à m’aimer, mais à éprouver pour moi suffisamment de tendresse pour envisager ma proposition. Sachez que, jusqu’à cette heure, jamais plus nous n’en reparlerons, mais que j’accourrai sans hésitation au moindre signe de votre part, chaque fois que vous aurez besoin de ma présence, et de mon réconfort. Tel l’ami sûr auquel autrefois Denys a confié votre vie.
    – Que vous dire, Geoffroi, sinon que, si je devais prendre époux un jour, c’est vers vous assurément que mon cœur irait.
    Il me serra tendrement contre lui et nous restâmes ainsi un long moment en silence, écoutant se cogner les coques des embarcations amarrées au pied des remparts. Puis il déposa un baiser sur mon front et, allongeant le pas sur ce geste, me ramena chez moi.
    Ce fut comme une certitude. Une certitude qui brusquement revenait dans la réalité. Jaufré de Blaye eut la sensation fugitive qu’il lui suffirait d’ouvrir les yeux pour voir de nouveau et mettre enfin sur ces voix feutrées et inconnues des visages et des noms. Pendant longtemps, un temps dont il n’avait nulle idée, il avait perçu autour de lui un va et vient incessant, mêlé à des images d’un autre temps, d’un autre lieu. Où se trouvait-il ? Qui était-il ? Il l’ignorait. Il avait simplement conscience d’un corps qui n’éprouvait aucune douleur mais qui pesait pourtant. Par moment, il croyait se souvenir de quelque chose, mais aussitôt cela disparaissait. Jusqu’à aujourd’hui. Mais que signifiait ce mot ? À quelle date, quel mois, quelle année se

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