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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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siégeait.
    Après s’être penché sur le corps qui reposait sur le dallage de terre cuite, Suger s’avança vers le roi et lui chuchota quelques mots. Il paraissait troublé au plus haut point. Louis chancela, et Aliénor dut passer son bras sous le sien pour le soutenir. Tous trois se dirigèrent vers Béatrice.
    Ce fut Louis qui, bravant tous les interdits, la souleva de terre dans ses bras, les yeux emplis de larmes, tandis que le baron ne parvenait pas à faire un geste, pétrifié par cette vision blanche qui ressemblait à une fleur sublime dans un parterre vierge. Le roi hurla plus qu’il ne parla, tant sa voix résonna sous les voûtes emplies d’un silence glacial :
    – Mes amis, ce jourd’hui était jour de fête, demain sera jour de deuil. Béatrice de Campan nous a quittés pour le royaume des cieux.
    Deux par deux, les invités vinrent tracer un signe de croix sur le front blanc qui pendait mollement entre les bras de Louis. Aliénor voulut lui dire que ce n’était pas sa place mais celle du baron, mais elle n’en eut pas le courage. Elle pouvait lire dans les yeux de Louis une souffrance infinie qui lui rappela celle qu’elle avait éprouvée à la mort de Raymond.
    Lorsque, à mon tour, je fis glisser mes doigts au-dessus des paupières closes de Béatrice, ce fut en murmurant pour elle seule :
    – Que la paix désormais soit tienne.
    Ainsi je levais sur elle l’anathème que sa propre haine avait tissé, car, malgré la satisfaction que me procurait son trépas, je ne pouvais supporter l’idée de laisser peser sur son âme le poids de ma malédiction.
     
    Le banquet qui suivit fut bien terne. Le baron de Montmorency n’y parut pas, occupé à veiller celle qui n’avait pas eu le temps de devenir son épouse. Louis fit pâle figure, ne goûtant qu’à peine les plats. Au terme d’un long moment, il demanda à Aliénor la permission de se retirer et elle n’eut pas le cœur de l’en empêcher. Elle savait qu’il partait rejoindre les proches de Béatrice pour prier avec eux. Curieusement, elle ne lui en voulut pas. Louis était brisé par le chagrin et, au lieu d’en tirer une certaine vengeance qu’elle attendait depuis la mort de Raymond, elle avait pitié de lui. Sans doute eut-elle conscience à cet instant que plus que quiconque Louis était seul. Totalement seul désormais.
    Moi, j’avais le cœur joyeux, d’une légèreté inouïe, comme si rien à présent ne pouvait plus m’atteindre. Comme si, d’avoir écarté Béatrice, je tournais une page amère de mon existence. Lorsque Geoffroi de Rançon proposa de me raccompagner jusqu’à ma porte, j’insistai pour faire quelques pas au clair de lune, immense, qui auréolait les arbres du jardin. Cette requête lui fut agréable et c’est côte à côte que nous nous avançâmes vers les créneaux qui surplombaient la Seine.
    – J’imaginais mal que cette damoiselle puisse avoir pareille fin, commenta Geoffroi pour rompre un silence que j’avais laissé s’étendre au fil de mes pensées.
    – Quoi qu’il en soit, Geoffroi, je vous mentirais en prétendant que je m’en sens affectée.
    Il eut un sourire complice.
    – Le contraire m’eût profondément surpris, savez-vous. Denys m’a tout raconté vous concernant, Loanna.
    Il avait dit cela à mi-voix comme une confidence, tandis qu’il prenait ma main. Je frissonnai soudain, mais ce n’était pas de froid. Que savait-il exactement ?
    – Il m’a assuré avant de mourir que vous n’étiez pas comme les autres. Que vous défendiez les intérêts de l’Aquitaine, et que votre mission entraînerait sur vos pas nombres d’ennemis contre lesquels il faudrait se battre. Enfin, que vous lui étiez plus précieuse encore que sa vie. Cela, hélas, il l’a prouvé. Lorsque j’ai fait promesse sur son souffle de mourant de veiller sur vous à mon tour, je n’imaginais pas véritablement à quel point vous prendriez de place dans mon cœur. Sans doute parce que je savais alors votre attachement à Jaufré de Blaye. Puis j’ai appris qu’il s’était éteint à son tour, et ce que je ressentais pour vous a pris son véritable sens. Vous savoir seule et sans défense m’a bouleversé. Je vous aime, Loanna. Bien loin de moi l’idée de comparer cet amour avec celui d’un comte de Blaye ou de Châtellerault et je serais bien fou d’imaginer que vous puissiez m’aimer aussi. Pourtant, je suis prêt à vous donner mon nom, non seulement pour vous

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