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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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s’imaginant sans doute que ce soupir était une critique.
    – C’est parfait ! lui lançai-je pour me faire pardonner.
    Alors, il gonfla son torse proéminent qui ressemblait à un gosier de dindon gavé jusqu’aux genoux, de sorte qu’on eut l’impression que ses jambes démarraient à cette hauteur. Je m’esquivai en pouffant.
    Les joutes furent un régal. Les vétérans encore une fois emportèrent tous les trophées. Sans doute trouvaient-ils plaisant de ne plus se battre que pour l’honneur. Il y eut de fait, comme la veille, fort peu de blessures, et, lorsque chacune d’entre nous remit son trophée à son vainqueur, Geoffroi de Rançon qui était des finalistes vint s’incliner devant moi avec un sourire complice. Je le lui rendis sans malice et passai autour de son cou la médaille d’or à l’effigie d’un chevalier terrassant un dragon qui symbolisait la force et l’adresse.
    – Ma dame, murmura-t-il, plus que ce trophée, c’est votre sourire ma plus belle récompense.
    Je détournai mon regard du sien, car il était si appuyé que je sentis un fard me monter aux joues.
    À cet instant les cloches de Saint-Denis s’envolèrent, appelant à l’office de vêpres.
    Aliénor s’en fut rejoindre Louis, et les dames leurs époux qui s’étaient dirigés vers les pavillons pour s’y rafraîchir. Moins d’une vingtaine de minutes plus tard, le cortège s’ébranla vers l’abbaye. Au moment d’allonger le pas, alors que je prenais place au milieu des invités, la voix de Geoffroi de Rançon s’éleva tout près de moi :
    – Acceptez mon bras, voulez-vous ?
    – Fort volontiers, mon ami, acquiesçai-je.
    Ce fut donc à son bras, avec un pincement au cœur, que je pénétrai dans la cathédrale. La dernière fois que j’avais marché aux côtés d’un autre, c’était à Tusculum et le pape lui-même avait béni mes fiançailles.
    Quelques minutes plus tard, dans l’église bondée, Béatrice paraissait dans une robe somptueuse d’un voile immaculé, menée à l’autel par son oncle, le baron de Campan. Elle souriait à peine, et son teint plus blanc que son linge attisa un murmure dans l’assistance à mesure qu’elle s’avançait le long de la grande allée centrale. Sans doute l’émotion, commenta une voix féminine. Mais je savais que c’était autre chose. Quelque chose comme de la peur. Une peur grandissante à mesure que ses pas la rapprochaient de l’autel et de son Dieu sur sa gigantesque croix. Lorsqu’elle fut au pied de l’autel, son futur époux la prit par la main pour la conduire devant le roi et la reine. Louis aussi était livide, il devait lui en coûter de voir un autre lui ravir celle qu’il chérissait tant. Les deux vassaux s’inclinèrent respectueusement.
    Puis les futurs épousés s’en retournèrent devant l’autel où Suger les attendait. Il parla longuement des obligations du mariage, de leurs devoirs envers le roi de France, et de tant d’autres serments. A plusieurs reprises, Béatrice toussa comme si l’air lui manquait, puis se ressaisit. Enfin vint le moment où le baron de Montmorency prit sur un coussin de velours l’alliance d’or et la lui présenta en clamant haut et clair :
    – Par le pouvoir du Tout-Puissant, créateur du ciel et de la terre, et par la foi de mon engagement aux saints sacrements du mariage, je me donne tout entier, corps et âme, à vous, Béatrice Elisabeth de Curves, baronne de Campan, afin que, dans la joie comme dans la peine, mon épée et mon amour servent votre cause dans le respect, la fidélité et la sagesse jusqu’à ce que la mort nous sépare.
    Il souleva délicatement la main gauche de sa belle et enfila à son doigt l’anneau d’or. Ce fut à cet instant précis que Béatrice s’étrangla. Elle porta la main à sa gorge diaphane pour en arracher le sautoir de diamants qui y scintillait, comme s’il pouvait être la cause de son malaise. Mais cela ne changea rien. Alors, elle écarquilla des yeux ronds et effrayés vers la tribune royale, chercha un souffle dans un cri qui ne vint pas et s’effondra, inerte, entre les bras de son fiancé, interloqué. Personne n’avait eu le temps de réagir. D’un même élan, l’assistance se leva, inquiète, tandis que Suger venait en aide au baron de Montmorency pour étendre la malheureuse à terre. Personne n’osa troubler le silence de la nef, pas même Louis, livide, qui plantait ses ongles dans l’accoudoir du trône sur lequel il

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