Le lit d'Aliénor
à maintenir une paix difficile en faisant promettre à Henri de venir rendre hommage à Louis. Ce dernier, soumis par Suger, avait accepté les excuses qui repoussaient inlassablement l’acte d’allégeance. Patience qu’Étienne de Blois trouvait déplacée, mais Louis tenait bon. Aliénor et lui ne se parlaient plus désormais. Là encore, leur rapprochement n’avait été que de courte durée. Aliénor avait un nouvel amant depuis quelques mois, le jeune et beau comte de Rocamadour qui avait fait son entrée au palais de la Cité avec les fêtes de la Pentecôte 1150. Louis savait. Il était même la risée du royaume, où de nombreuses chansons circulaient. Il eût pu pourfendre son rival ou l’exiler, mais il était lassé de ces mesquineries. Et puis il y avait Suger. Suger qui s’éteignait, il en avait conscience, et qui le suppliait de réfléchir aux conséquences de ses actes.
Louis gardait tête basse et se pliait à la sagesse de son vieil ami. Sans doute craignait-il plus que quiconque de le voir passer. Car, après lui, qui peuplerait cette immense solitude qui était sienne ?
Avec cette disparition, c’était le fondement même du royaume qui se précipitait dans un abîme de noirceur et de deuil. Louis le savait. Aliénor le savait. Je le savais.
Les mois qui suivirent s’estompèrent dans une sorte de brouillard où les choses avaient du mal à trouver leur place. Le conseiller Thierry Galeran se sentait une importance accrue à présent. A l’inverse de Suger, il forçait la main de Louis contre Henri, soutenu par Raoul de Vermandois. L’affaire traîna jusqu’au mois d’avril 1151. Le temps pour Louis de puiser en lui une force nouvelle. Ce fut dans la prière, comme à son habitude, qu’il se décida. Les prochaines fêtes de Pentecôte verraient plier le front d’Henri et de son père.
J’alertai Mathilde à l’aide d’une de mes colombes. Depuis mon dernier séjour en Normandie, nous n’avions cessé de correspondre ainsi. De même, et de façon tout à fait impromptue, j’avais renoué avec un vieil ami : Thomas Becket, qui avait séjourné quelque temps à Paris pour assister à diverses conférences. Il souhaitait fonder une université à Londres et avait besoin pour ce faire de nombreux conseils et de l’avis des maîtres. Je le revis avec plaisir. En Angleterre, il séjournait dans une abbaye sur les bords de la Tamise, œuvrant toujours adroitement et de son mieux pour l’avènement d’Henri. Etienne de Blois était, à ses dires, un tyran qui continuait à diviser le pays. L’heure approchait où il serait renversé de lui-même par ses innombrables sottises et maladresses. Dialoguer avec Thomas comme aux temps heureux de l’insouciance me fit du bien. De plus en plus fréquemment, je m’éveillais la nuit en sueur, avec la sensation d’une présence à mes côtés, d’une ombre souffrante au visage émacié. Jaufré. Jaufré me hantait sans relâche, il ouvrait la bouche, formait des lettres, des mots du bout des lèvres, mais aucun son ne me parvenait. Je ne comprenais pas. Je ne comprenais plus. Chaque matin, je m’éveillais avec au cœur une certitude immense qui reniait sa mort. Folie. Je devenais folle. Désespérément folle.
J’avais revu Geoffroi de Rancon à plusieurs reprises au cours de cette année. A chacune d’elles, nous avions devisé tels de véritables amis. Fidèle à sa promesse, il ne m’avait pas imposé la pression de son amour. Je l’avais simplement senti dans la chaleur de ses prunelles, dans un geste esquissé, dans un frôlement. Mais, cette année, il exigerait avec la fin de son deuil une réponse à sa requête. La raison aurait dû me faire envisager l’hymen avec sérénité. Je n’étais que tourment. Comment pouvais-je accepter d’épouser un autre que Jaufré quand tout en moi l’appelait ? Pourtant, n’était-ce pas l’unique rempart contre cette folie qui jour après jour s’emparait de mon âme ? Je m’étais confiée à la reine, qui avait, sans aucune hésitation, soutenu la requête du comte. Elle aussi pensait que c’était pour moi la meilleure chose à faire. Elle avait cherché mes caresses cette fois-là, mais curieusement je n’avais pu l’aimer. Depuis la mort de Jaufré, aucune main ne m’avait modelée à sa fièvre. Je ne pouvais plus faire l’amour. Comment accepterais-je de ce fait les inévitables rencontres qu’une épouse devait à son mari ? Pour oublier toutes
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