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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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pencha de nouveau sur l’écritoire, saisit une feuille de parchemin et trempa la plume dans l’encrier. Sa main n’était pas sûre, et pourtant son âme l’était. Pour la première fois, il trouva le courage. Le courage qui lui manquait face à ce regard brûlant de tendresse qu’il étreignait sans amour :
    « Je ne peux, Hodierne, commença-t-il d’une main maladroite, tandis qu’elle suivait des yeux l’entrelacs de lettres à mesure qu’il griffait le papier. Quand bien même je le voudrais, je ne peux oublier Loanna de Grimwald. Pardon, pardon mille fois pour le mal que je vous donne et plus encore pour celui que je vous fais ainsi sans le vouloir. Je voudrais, je le jure sur la Très Sainte Bible, pouvoir vous aimer car plus que quiconque, plus qu’elle-même, vous méritez de recevoir ce que vous espérez, mais l’infâme bourbier que je suis devenu ne vaut pas un regard, pas une plainte, pas une larme, car c’est elle désespérément que j’aime, Hodierne. Comme un fou, comme un roi, comme une virgule qui ne termine jamais une phrase. Jetez-moi, tuez-moi, mais, par pitié, comprenez-moi avant de me perdre et de me libérer ainsi de mes tourments. »
    Il laissa la plume tomber en écorchant les fibres dans un petit bruit crispant. Hodierne ravala ses larmes. Tout cela, elle l’avait deviné depuis longtemps. Elle avait espéré pourtant. Elle eût pu, oui, par vengeance, par dépit, achever ce que dame nature avait refusé de faire et le renvoyer à la mort. Mais Hodierne de Tripoli ne pouvait aller contre elle-même. Jaufré n’était pas responsable, non. Elle appuya douloureusement ses mains sur les épaules voûtées du troubadour. Il n’avait pas bronché, pas sourcillé, espérant sa sentence comme une délivrance.
    Alors, du fond de son âme, elle sut qu’elle lui avait déjà pardonné. Elle déposa un baiser doux comme une aile de papillon sur son crâne et murmura dans un souffle :
    – Peu m’importe que vous m’aimiez ou pas, Jaufré. Demeurer votre amie suffit à ma peine. J’enverrai quérir des nouvelles à la cour de France de celle dont vous vous languissez. Ainsi vous saurez ce qu’il convient de faire, mais, je vous en conjure, ne précipitez pas les choses. Je ne vous demande qu’une faveur, une seule. Ensuite, je ne serai plus à vos côtés que l’amie fidèle et dévouée. Aimez-moi, une fois, une seule et unique fois, de ce corps que vous nommez injustement bourbier infâme, afin que dans mes yeux vous puissiez lire qu’il n’est ni repoussant ni mort. Aimez-moi Jaufré, même si à travers mes caresses ce sont les siennes que vous imaginerez.
    Bouleversé, il se leva en s’aidant du dossier de la chaise. Hodierne pleurait, mais c’était à peine s’il l’avait remarqué dans le trouble de sa voix. Il l’attira à lui et chercha ses lèvres finement ourlées, sa taille parfaite, ses seins menus. Il y avait si longtemps. Allait-il encore savoir ? Son corps retrouverait-il ces élans charnels que ses sens endormis avaient oubliés ?
    – Je vous aiderai, chuchota-t-elle comme si elle avait lu dans ses pensées.
    Alors, tous deux s’allongèrent sur le lit face à la cheminée où brûlait un tronc entier. Peu à peu, les gestes lui revinrent, il se laissa apprivoiser par les siens, et lorsqu’il parvint à la prendre, un râle de plaisir sauvage s’étouffa dans sa poitrine. Seules des larmes jaillirent, et à travers elles, s’épancha toute la détresse du monde.
     
    Louis était sombre. Penché en prière au-dessus de la bière de son plus fidèle conseiller et ami, il songeait avec désespoir combien cette perte était grande pour le royaume tout entier. Nous étions le 13 janvier 1151. L’abbé Suger venait de s’éteindre sans avoir accompli son double rêve : maintenir intact ce mariage de légende et achever les travaux de finition de l’abbaye de Saint-Denis.
    Curieusement, son trépas me toucha. Derrière l’ennemi se tenait un homme d’envergure et, s’il n’avait été aussi fervent à contrecarrer mes projets, sans doute eussé-je apprécié qu’il-fût des miens. Au fond, nous défendions la même cause, bien que dans deux camps différents. Suger rêvait d’une France forte et unie, je rêvais d’une Angleterre de même. Qu’avions-nous à nous reprocher ? Mais il n’était plus temps de remâcher d’inutiles remords. Ce qui était fait était fait. Et rien ni personne n’y pouvait changer.
    J’avais réussi

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