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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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poussait Aliénor à retourner en Aquitaine.
    Dès le lendemain du départ d’Henri, elle s’était hâtée vers le cabinet où son époux se trouvait en conversation avec Thierry Galeran. À son entrée, le vieil homme au visage de fouine s’effaça comme à son habitude. Ni l’un ni l’autre ne s’aimaient et ils s’évitaient au possible.
    – Pardonnez-moi, Louis, de vous déranger ainsi, mais, cette nuit, un cauchemar affreux dans lequel j’ai cru voir un signe du destin m’a tiré d’un sommeil agité. Il me fallait vous en entretenir, gémit-elle d’une voix blanche qui retint l’attention du roi.
    – Parlez sans crainte, ma reine.
    – D’immenses flots de sang noir s’abattaient sur nous, tandis que des gnomes difformes sortaient de mon ventre gros pour se dresser, vengeurs et maléfiques. Je hurlai de terreur en invoquant Dieu pour nous protéger des démons. Mais la voix de Bernard de Clairvaux se dressa au-dessus de leurs rires malsains pour nous accuser : « Honte sur vous, mécréants qui avez consommé une union dont vous saviez qu’elle était interdite par l’Eglise ! La main de Dieu vous condamne au néant. Vos âmes iront brûler en enfer, quant aux enfants que vous aurez, ils ne seront plus que des gargouilles destructrices. » Voyez, Louis, j’en tremble encore.
    Elle remonta une manche et laissa voir sur sa peau fine cette chair de poule que seule sa machiavélique invention créait. Louis détourna la tête ainsi qu’elle s’y attendait.
    – Oubliez cela, Aliénor. Ce n’est que mauvais rêve sans importance.
    – Je ne le crois pas, Louis. Vous souvenez-vous de notre conversation de l’autre nuit ? Nous avons évoqué ce châtiment du Seigneur de ne point nous avoir donné de fils. Notre parenté est réelle. Bernard de Clairvaux lui-même l’a condamnée, rappelez-vous.
    Louis ne pouvait pas ne pas s’en souvenir. Suger lui avait parlé de cette lettre que le saint homme lui avait écrite. C’était au moment où Raoul de Vermandois tentait de faire annuler son mariage pour épouser Pernelle. Aliénor et Louis s’étaient faits complices en arguant du droit canonique. La réponse de Bernard avait fusé. Louis ferait mieux de se préoccuper de ses propres liens de parenté avec la reine plutôt que de s’inquiéter d’un fait pour lequel l’Église avait tranché et excommunié.
    Non, il n’avait pas oublié. Suger s’était évertué, durant toutes ces années, à lui répéter que c’était une inquiétude sans fondement, que l’Aquitaine était un morceau de choix et que la paix du royaume dépendait de ses possessions. Aujourd’hui, il n’était plus sûr de rien. Suger n’était plus. Bernard continuait de brandir la menace, la reine était désespérément incapable de lui donner un héritier, et, pis, il ne la désirait même plus assez pour accomplir son simple devoir d’époux.
    – M’entendez-vous, Louis ? insista Aliénor, qui l’avait prudemment laissé suivre le cours de ses pensées mais trouvait à présent le silence pesant.
    – Je vous entends. Que souhaitez-vous ? Vous défaire d’un mari qui ne vous inspire que dégoût ? Ou véritablement racheter notre âme à tous deux ?
    – Ce que je souhaite est bien plus que cela, Louis. C’est sauver la France.
    Il eut un regard incrédule. Mais celui d’Aliénor était droit et franc.
    – Que voulez-vous dire ?
    – Notre mariage est un échec, et il est clair que rien de bon n’en naîtra plus. Nous le savons tous deux. S’obstiner contre la volonté du Seigneur, c’est mener à la ruine cette terre qui est nôtre. Désormais par cette vision j’en suis convaincue. Lors, que restera-t-il après nous d’un pays sans héritier au trône ? Voyez déjà comme votre frère Robert brigue celui-ci et fomente des soulèvements. Si vous n’avez pas de fils, alors ce sera le chaos, car des hommes s’entre-tueront pour ce pouvoir, pour cette terre. Je ne veux pas cela, Louis. Vous ne le voulez pas non plus. Je ne suis pas une bonne épouse, et vous avez toutes les raisons de me répudier. Pourtant, si vous le faites, mes filles, vos filles, garderont leurs prétentions au trône elles aussi. Annulons ce mariage, rentrons en grâce avec Dieu, et remariez-vous avec une épouse qui saura vous donner l’enfant que je n’ai jamais porté. L’enfant du salut.
    – Que deviendrez-vous ?
    La voix s’était faite fine, comme celle d’un petit à qui l’on demande de

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