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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Croyez-vous que je n’entende point les railleries sur ma face blanche et maigre, sur mon aspect chétif, presque efféminé ? Le regard des autres m’indiffère. Le vôtre seul me tue.
    J’étais glacée. Glacée et brûlante à la fois. Je me mis à trembler, et la poire que ma main soudain ne tenait plus tomba en froissant l’herbe.
    – Vous grelottez, remarqua-t-il en esquissant un pâle sourire. Pardon de vous avoir effrayée. Les poètes sont un peu fous. Je n’échappe pas à la règle.
    Je voulus parler, mais ma gorge était sèche. Je déglutis péniblement, tandis qu’il poursuivait :
    – Je voulais simplement vous saluer avant de partir. Rester près de vous m’est désormais plus pénible que la solitude de mon donjon. Je vous aime, Loanna de Grimwald. Quand vous ne m’aimerez jamais.
    Il tourna les talons sur mon silence. Alors, ce fut comme un éclair dans un ciel d’orage. Une fulgurance qui m’écartela. Les mots jaillirent de moi comme crève un nuage de pluie :
    – Ne partez pas. Je vous aime.
    Il se retourna. Mon cœur battait à tout rompre. Mais je ne tremblais plus. J’avais besoin de le rassurer soudain. Sans fuir son regard cette fois, je murmurai encore :
    – Jamais je n’ai vu visage plus noble et plus beau que le vôtre, comte, lorsque la musique tout entière le caresse et l’enivre. Quant à votre voix, elle est digne d’un chant d’oiseau, lorsque l’aurore point et que le ciel s’embrase à son hymne. Si vous partiez maintenant, vous condamneriez ce printemps qui vient à mourir avant de naître. Si je vous ai fui, ce n’est pas par dégoût de vous, mais par peur de moi.
    Il s’avança lentement et, s’agenouillant à mes pieds, prit ma main dans les siennes pour y déposer un long baiser. Puis, posant son oreille sur le velours de ma robe, il gémit en confidence :
    – J’ai vu la duchesse entrer dans votre chambre cette nuit. Elle n’avait point refermé entièrement la porte derrière elle. J’ai osé l’indiscrétion d’un regard. Pardonnez-moi.
    Son aveu me fit rougir. Je comprenais mieux pourquoi il s’était imaginé rejeté.
    J’avais appris à assumer mes actes quoi qu’il advienne. Cela faisait partie des lois. Un seul amour, avait dit mère : l’Angleterre. Je serrai les dents. Je m’étais abandonnée deux fois en moins d’une lune. J’avais oublié qui j’étais. Je ne voulais pas le blesser, mais je devais me ressaisir. Je posai ma main sur sa joue. Elle était douce comme un cendal.
    – Ce qui s’est passé cette nuit n’est rien. Vous savez combien ici les jeux de l’amour sont sans conséquence. J’étais novice. Elle m’a initiée. Mon destin est lié au sien, pour des raisons que je ne peux dévoiler. Lorsque le duc d’Aquitaine reviendra de Compostelle, j’entrerai au couvent avec elle. Mon cœur et mon âme sont vôtres, Jaufré de Blaye. Mais je n’ai pas le droit de vous aimer.
    – Je ne vous reproche rien, ma dame. Je vous appartiens.
    – Non, Jaufré. C’est à votre talent que vous appartenez.
    – Il n’existerait pas sans la confiance dont vous l’honorez.
    – Il existe par lui-même. Croyez-moi. Ne doutez pas de vous. Ne doutez pas de moi. Un jour viendra peut-être où je pourrai être à vous, mais, de grâce, ne vous aliénez pas à m’attendre. Mon fardeau serait bien trop lourd à porter.
    – Le poète n’a qu’un seul amour. Quoi que vous me demandiez, je le ferai, dussé-je mourir pour vous. N’attendre rien faisait mon malheur. Vous attendre sera ma plus belle chanson. N’empêchez pas qu’elle se compose de mes rêves.
    – Vous êtes fou.
    – Je vous l’avais dit. Je n’échappe pas à la règle.
    – Restez jusqu’au retour du duc.
    – Jusqu’à ce que vous me chassiez, ma douce aimée.
    Des rires et des babillages tout proches mirent fin à notre entretien. Agacée de n’avoir pu infléchir son père, Aliénor me cherchait. Jaufré s’esquiva, non sans avoir volé sur mes lèvres un baiser chaste et doux qui me laissa gaie comme un pinson.
    Le lendemain, Guillaume, revêtu de son mantel de pèlerin et chaussé de fines sandales, s’éloigna à pied avec quelques barons et amis qui avaient choisi de l’accompagner. Il embrassa ses filles d’un air absent, puis s’en fut vers son destin.
    Tandis que je suivais sa silhouette appuyée avec lassitude sur son bourdon, un froid glacial m’envahit. Sans m’expliquer pourquoi, je sus que la mort le guettait sur

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