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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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chiot. J’étais glacée. Ces yeux si intensément purs à quelques mètres des miens, si fiers et si fragiles à la fois ! Mon cœur se serra. Jaufré n’osait bouger, fixant la chevelure aux reflets d’or qui cascadait sur mes épaules. Je réalisai brusquement n’avoir pas pris le temps de reformer mes nattes. Au fond, cela avait si peu d’importance, face à son désarroi ! Sans savoir trop pourquoi, j’eus foi soudain en son talent. Passant à son côté, je murmurai pour lui seul : « Chantez pour moi », puis m’installai à droite d’Aliénor, plaidant son indulgence d’un regard.
    Elle effleura mon bras d’un doigt plein de promesses, mais sa caresse ne me laissa cette fois sur la peau qu’une sensation de dégoût. Je détestais celle qui toisait son vassal de ce ton supérieur :
    – Allons, messire, faites-nous entendre votre chant ou sortez !
    J’eus envie de la gifler. Le comte de Blaye nous fit face, un sourire de dédain aux lèvres. Ses yeux accrochèrent les miens, et je pus y lire le bienfait de mes simples paroles d’encouragement. La bête traquée semblait métamorphosée.
    – Votre confiance m’honore, ma dame, dit-il en la saluant, mais je compris qu’il ne s’adressait qu’à moi, à moi seule, et cela me remplit d’un bonheur indicible.
    J’attendis sa musique comme on attend un arc-en-ciel, et sa musique vint, naquit, plainte langoureuse sous les doigts osseux, monta et gagna le plafond, les coussins, les tapisseries, et les pierres elles-mêmes s’alanguirent de plaisir. Puis le timbre s’envola à son tour, aussi limpide que les prunelles, aussi doux et fin que le visage, cueillant dans un tourbillon de volupté la noblesse dominatrice de son hôtesse.
    Lorsque la mélodie se tut, le jeune homme continua de vibrer tout entier d’une aura surnaturelle, qui, même si elle n’était due qu’aux flammes dansantes des bougies dans la pièce, le transfigurait. Aliénor en avait oublié sa première impression désastreuse, et Pernelle battait des mains à mes côtés, radieuse. Quant à moi ! Moi, je n’osais plus rien dire, à peine respirer pour ne pas briser le sortilège de cet instant.
    Le troubadour nous dévisagea toutes trois avec l’ineffable douceur de ceux que leur passion fait vivre, puis, se courbant en une révérence gracieuse, il murmura d’une voix caressante :
    – Votre beauté, damoiselles, surpasse mon mérite. Mes vers sont bien mièvres à ne rendre qu’un reflet quand ils devraient magnifier la source de leur inspiration. Oserai-je espérer que vous leur pardonniez de n’être qu’insignifiants, écrits avant d’avoir su votre existence.
    – Relevez-vous.
    Aliénor avait la voix rauque des sens exacerbés. Il s’exécuta, et saisit avec délicatesse la main qu’elle lui tendit à baiser. Il l’effleura de ses lèvres, avec le plaisir que donne la revanche, et joua à s’attarder pour mieux la sentir frémir. Longtemps il avait rêvé de lui faire payer son dédain. S’en faire aimer serait un bon moyen, mais sitôt venue, l’idée lui fit horreur ; non pour la souffrance qu’il pourrait lui infliger à la laisser se pâmer, mais parce que mes yeux si proches lui murmuraient toute ma tendresse.
    Brusquement m’étaient revenues en mémoire ces images que j’avais vues, enfant, alors que je jouais en apprentie avec les formules magiques de mère. Ces visions et ce regard comme une promesse ! Il lâcha la main d’Aliénor. Ma gorge palpitait comme jamais, au point qu’il me sembla devenu impossible d’oser le moindre geste.
    – Vous nous avez conquises, comte de Blaye. Un tel plaisir mérite récompense.
    La voix d’Aliénor me ramena vers la réalité, d’autant plus qu’elle s’adressait à présent à moi :
    – Damoiselle Loanna, conduisez donc notre invité aux appartements que nous réservons aux hôtes de marque !
    Elle fit une pause pour constater l’effet que produisait son ordre, puis, satisfaite de mon trouble, modula :
    – À moins que la bienséance ne me pousse à confier cette tâche à quelque page.
    – Je veux bien, moi, le conduire.
    La voix fluette de Pernelle s’intercala dans ce jeu dont j’avais du mal à cerner l’intérêt, mais Aliénor répliqua d’un ton sec, qui déclencha une moue boudeuse sur le visage de sa sœur :
    – Vous êtes trop jeune encore pour prendre part aux décisions, Pernelle. Il suffit bien que vous assistiez à ces cours d’amour. Plus un mot,

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