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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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sur la berge après ma chute. Lui qui était arrivé à temps, guidé par une voix enjôleuse. Lorsqu’il raconta cela à son père, celui-ci répliqua qu’assurément il s’agissait de celle de la sorcière, qui les avait à sa façon remerciés de leurs présents. Trop faible encore, je me contentai de cette explication, bien qu’il m’eût semblé à un moment avoir entendu au creux de mes tympans chanter la voix de mère. Cela, au fond, n’avait nulle importance. Ce qui en avait, c’était Denys. Depuis deux jours qu’il m’avait ramenée, il s’évertuait à me veiller comme un chien de garde. Ma blessure au bras n’était pas foncièrement dangereuse, si ce n’était le fait que j’avais perdu beaucoup de sang. La véritable cause de mon étourdissement prolongé avait été cette chute contre un rocher acéré qui avait fait éclater mon crâne. J’avais déliré longtemps, dans une langue qu’ils ne connaissaient pas et dont moi-même j’eus beaucoup de mal à m’expliquer l’origine. Parfois, me dit-on, je parlais de choses terribles, de bêtes monstrueuses crachant feu et sang, de terres englouties par de gigantesques vagues. L’instant d’après, je crachais des torrents de phrases incohérentes. Par quels étranges chemins du temps avais-je erré dans cette course contre la mort, je ne saurais le dire. Lorsqu’on me narra tout cela, j’eus peur d’avoir parlé de la véritable raison de mon existence. Mais Denys n’en fit mention dans aucune de nos conversations. En désespoir de cause, effrayé par mon teint cireux, il s’en était retourné dans la forêt, avait déposé un panier garni de victuailles à l’endroit où d’ordinaire la sorcière se montrait et avait supplié qu’elle leur vienne en aide, comme autrefois elle avait sauvé son père. Le lendemain, à la place du panier, se trouvait une gourde emplie d’un liquide noirâtre avec cette seule indication : « Faites-lui boire par deux fois à l’instant où se montrera et s’éteindra la lune. »
    Ainsi fut fait. Le matin suivant, j’ouvrais des yeux étonnés sur des visages ravagés d’inquiétude. Mais je ne pus articuler un mot. Mon corps n’était que courbatures. Lors, je me laissai distraire par le récit de mon aventure. J’appris ainsi, devant un bol de soupe, que mon agresseur avait disparu, profitant de ce que Denys s’approchait de moi. Par crainte devant le sang qui s’échappait de mon crâne, Denys ne s’était pas préoccupé de le poursuivre et m’avait emportée à vive allure vers le château. De sorte que nul ne savait ce qu’il était advenu de l’homme. On l’avait recherché ensuite en vain. Des traces de sabots découvertes dans une petite clairière firent supposer qu’il avait réussi à regagner sa monture et à s’enfuir. De mon côté, je ne pus fournir d’explication quant à ce que voulait cet homme, et ne me connaissais aucun ennemi. Peut-être n’était-ce qu’un malandrin qui avait saisi une occasion, mais Denys m’assura que les alentours du château étaient paisibles et que seuls quelques braconniers musardaient en ces lieux. Tout cela me laissa perplexe. Le vicomte m’expliqua qu’il s’était résolu à attendre quelques jours avant de prévenir Jaufré, confiant en la médecine de la sorcière. Je lui en fus reconnaissante. Il valait mieux qu’il n’en sache rien. La séparation avait été difficile, il était inutile que mon troubadour se sente coupable de n’avoir pas accompagné mes pas.
     
    Il me fallut une semaine avant de pouvoir quitter le lit ; mon bras me faisait horriblement mal, et au moindre mouvement mon crâne semblait prêt à éclater. Denys venait me voir chaque jour, et nous devînmes amis. C’était un jeune homme cultivé et agréable, qui s’évertuait à me faire rire et s’éclipsait sitôt qu’il lisait sur mon visage quelque trace de fatigue. Le vicomte venait lui aussi et prenait toujours ma main de la même manière, entre les siennes si grosses que j’avais l’impression qu’elles m’enveloppaient tout entière. Il ne cessait de se dire navré. J’eus beau l’assurer qu’il n’était en rien responsable et qu’au contraire j’avais trouvé en sa demeure une seconde famille, rien n’y fit. Le pauvre homme ne se pardonnait pas mon aventure. Alors, je demandai qu’il joue de la harpe, et, bien que les voix au bout d’un moment me deviennent une véritable torture, la sienne me berçait doucement et

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