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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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apaisait mes douleurs jusqu’à m’endormir. Loriane était la plus empressée auprès de moi en sa qualité de maîtresse de maison, mais elle s’éclipsait sans mot dire dès lors que Denys s’annonçait.
    Un jour, n’y tenant plus, alors que nous venions, lui et moi, d’échanger une longue conversation sur les nouvelles qui parvenaient de la cour de France, je lui demandai :
    – Quel est donc, Denys, ce secret qui ronge les vôtres ? Bien que cela ne me concerne en rien, je suis peinée de voir tant de souffrance traverser vos regards chaque fois que vous êtes en compagnie de Loriane.
    Il se renfonça dans son fauteuil en soupirant :
    – Ainsi vous avez remarqué…
    Je hochai la tête, mais n’osai en dire davantage. Il eut un sourire franc qu’il ponctua d’un geste désabusé de la main.
    – Au fond, ce n’est un secret pour personne. Loriane n’est pas ma mère. Je suis né de l’infidélité de mon père avec une servante dont il fut éperdument amoureux. J’aurais dû être élevé comme n’importe quel bâtard, mais elle mourut en me mettant au monde. Malgré les suppliques de son épouse, père refusa que je sois confié à quelque autre servante. Loriane nourrissait Lionel à l’époque et avait bien assez de lait pour deux. Père lui imposa ma présence, demandant que je reçoive la même éducation que ses fils, même si jamais il ne me donnerait titre et nom. Voilà, damoiselle, vous savez tout. Bien que j’éprouve une réelle affection pour Loriane, elle ne m’a pas pardonné l’amour que mon père porta à ma mère. Ce n’est pas une méchante femme et jamais elle ne me fit du mal ; cependant, chaque jour auprès d’elle lui rappelle ce que je représente et c’est une souffrance dont sa nature trop sensible ne peut guérir. D’autant plus que, de tous ses garçons, je suis celui qui ressemble le plus au vicomte. Alors je pars chaque fois que je le peux jusqu’aux frontières du domaine, pour qu’elle me voie le moins possible. J’ai bien pensé suivre mes deux frères dans le sillage de notre reine, mais qui suis-je pour revendiquer quelque place ? Ils ne m’aiment pas. Pour eux, je ne suis qu’un bâtard et je me doute qu’à la mort de père je serai chassé du domaine comme un vulgaire rat. Pour l’heure et par amour pour lui, je le sers au mieux de ma conscience, car il a fait de moi ce que je suis.
    Son regard était d’une infinie tristesse, comme s’il portait soudain sur ses épaules le poids de tout cet amour dont il était empli et qui n’aurait demandé qu’à se répandre. Une profonde tendresse m’envahit. Je murmurai avec certitude :
    – Il ne sera pas dit, Denys de Châtellerault, que je regarderai en ingrate tout ce que je vous dois moi-même. Accompagnez-moi à Paris, et je vous promets que vous ne serez ni valet ni bête curieuse. La reine est mon amie. Ma reconnaissance sera la sienne, et je vous assure que vos mérites gagneront un titre qui ce jourd’hui vous fait défaut.
    Il leva vers moi de grands yeux ronds, puis, comprenant que je parlais le plus sérieusement du monde, il saisit ma main valide et la porta spontanément à ses lèvres.
    – En ce cas, ma dame, sachez que vous n’aurez jamais serviteur plus fidèle.
    J’éclatai d’un rire gai qui acheva de me guérir.
    – Je vous dois bien plus que je ne pourrai jamais acquitter, mais votre amitié me sera un présent précieux, Denys.
    – Puisse-t-elle, murmura-t-il dans un souffle en se levant, vous dire combien je vous aime.
    Et, me plantant là médusée par cet aveu, il quitta la pièce.
    Dès le lendemain de cette conversation, je faisais mes premiers pas au jardin et ne revis pas Denys, parti à la chasse aux loups. Je me doutais qu’après cette confidence il lui eût été difficile de me regarder de nouveau en face. Avait-il peur que je change d’avis le concernant ? Ce n’était pas dans mes habitudes, d’autant plus que j’éprouvais pour lui une réelle affection. Et ni le fait qu’il m’ait sauvé la vie ni sa grande beauté n’y étaient pour quelque chose. C’était plutôt comme si je le connaissais depuis toujours. Comme Jaufré. Étrangement pourtant, il n’y avait en moi aucun doute. Ce senti-ment-là était différent de celui qui me liait à Jaufré. C’était autre chose. Autrement. Mon troubadour me manquait cruellement. Mais je ne pouvais nier que c’était à cause de lui que j’avais été vulnérable. Je n’avais cessé de

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