Le lit d'Aliénor
coiffe de perles disposée en damier autour de son chignon. Le scandale avait commencé devant la porte à deux vantaux qui ouvrait sur le cabinet des ministres. Louis les avait réunis avec Suger pour s’entendre sur des questions de politique avec les vassaux d’Aliénor. Ceux-ci craignaient que l’Aquitaine ne tombe aux mains du royaume de France et perde une grande partie de son indépendance.
Les deux gardes placés de part et d’autre de l’entrée avaient interdit l’accès à la jeune épousée, croisant leurs guisarmes devant la porte sculptée de fleurs de lys. Aliénor avait saisi une pointe dans chaque main et les avait écartées violemment après avoir tempêté contre ces personnages impassibles qui osaient s’opposer à leur reine. Alertée par les vociférations, l’assemblée penchée au-dessus d’une carte avait fait silence. Suger accourut vers l’entrée. Il s’en fallut de peu qu’il se fît heurter par les lourds battants que, dans la force de sa colère, Aliénor avait ouverts à pleines mains. Elle tomba nez à nez avec l’abbé qui secoua la tête en signe de réprobation, l’œil sévère.
Mais la jeune femme l’ignora, passa près de lui sans le saluer et, dans un mouvement de jupe très digne, s’avança au milieu des ministres, courbés en une révérence contrite. Louis était livide, ses yeux égarés cherchaient dans l’attitude posée de Suger un refuge qu’il ne trouva pas. Aliénor lui fit face, le regard plein de défi, puis, se tournant vers ses sujets :
– Relevez-vous, messires, et poursuivons, voulez-vous ? Je ne saurais me contenter de vos grimaces, l’abbé…
Le ton ne laissait place à aucune réplique. Louis se plia, Suger finit par conclure au terme des quatre heures que dura l’assemblée que cette petite ne manquait ni d’aplomb ni d’à-propos et encore moins de jugeote. Elle avait émis plusieurs remarques pertinentes sur un sujet qui lui était cher, et certains de ses conseils n’avaient pas manqué de le surprendre favorablement. Lui-même n’eût pas mieux fait. Aliénor apprenait vite, elle devait devenir son alliée. Ce ne serait pas si simple. Il convenait tout d’abord de lui faire entendre raison. L’on ne pouvait heurter de front la reine mère qui n’avait que très occasionnellement le droit de présider un conseil et qui reçut d’un spasme rageur l’initiative de sa belle-fille. Il faudrait donc qu’Aliénor tempère ses mouvements d’humeur et accepte d’attendre d’être invitée. Quant à prendre part au débat, c’était contraire aux bonnes mœurs d’Ile-de-France.
Aliénor se buta. Jamais en Aquitaine les femmes n’avaient été exclues de la politique. Puisqu’il en devait être ainsi, elle se réservait le gouvernement de sa province et le droit de régler les litiges avec ses vassaux. Pour être reine de France, elle n’en restait pas moins duchesse d’Aquitaine. Quant au palais, si royal fût-il titré, il n’était plus question qu’elle s’en accommode. Il serait nettoyé de fond en comble, rafraîchi et jonché de frais chaque jour. Les troubadours, les jongleurs, les danseurs et tout amuseur y recevraient hospitalité. Aliénor était la vie. Elle voulait la vie.
Bouleversé par l’attitude offensive de son épouse, Louis se retira plusieurs jours en méditation à Saint-Denis, à genoux sur la tombe de son père. Il ne savait trop que faire, découvrant avec égarement qu’il n’entendait rien à sa femme, que son caractère instable et capricieux lui faisait horreur et que, somme toute, il ne tirait de véritable plénitude que de la prière. Afin de protéger son âme, il décida qu’il valait mieux pour lui n’approcher Aliénor que lorsque le besoin de son corps brouillerait le latin de son missel. Ce qui ne fit rien, bien au contraire, pour apaiser la soif de pouvoir et de justice d’une jeune reine frustrée.
Agacé, l’abbé Suger chiffonna le parchemin qu’il tenait en main. Etienne de Blois voulait davantage : l’appui total du roi de France pour soutenir son action contre la maison d’Anjou. Quelques semaines plus tôt, les espions du roi d’Angleterre avaient intercepté une missive provenant d’Angers à l’intention de Loanna de Grimwald. Le message était clair : on lui demandait de redoubler de vigilance auprès d’Aliénor à la cour de France. Étienne de Blois avait pris peur. Une espionne aux côtés d’Aliénor ! Suger l’avait rassuré, mais,
Weitere Kostenlose Bücher