Le lit d'Aliénor
fleurs d’acacia, si savoureuses en beignets, et des plantes aromatiques qu’elles frottaient à même leur peau pour se parfumer.
Loin du bruit, de la musique et des rires, le jeune roi, qui n’avait jusqu’alors goûté que le paisible roulement de la Seine et quelques divertissements de bon ton, voyait dans tout ce luxe dispensé par la reine une sorte de provocation à ses vêtements et son allure de moine. Tout cela lui déplaisait. Les fêtes des îles et des saints patrons n’avaient jamais été aussi somptueuses et faisaient penser davantage à des festivités païennes, malgré les processions, qu’à des cérémonies religieuses.
Louis se réfugiait donc dans sa chapelle dès qu’il revenait de la chasse au faucon ou à courre avec les chiens qu’on lui avait offerts selon cette toute nouvelle mode. Les dames faisaient partie de l’équipage lors de la battue au renard, donnant une allure de désordre joyeux à ce qui était d’ordinaire une affaire d’hommes.
Bref, ce tapage ne cessait que dans la lumière feutrée des vitraux cloisonnés d’étain de la maison de Dieu. Il y croisait de plus en plus souvent Béatrice de Campan, qu’il se prenait à regarder à la dérobée. Le visage souriant de la Vierge à l’Enfant rayonnait de toute sa sainteté dans sa niche de marbre à quelques pas de la jeune femme, et Louis trouvait une certaine similitude à la douceur de leur expression. Parfois, Béatrice tournait son charmant sourire vers le regard admiratif du roi et il se troublait de la voir paisible et sereine. Il aimait sa compagnie si reposante.
Peu à peu, il commença de regretter les jours marqués de son absence. D’autant plus que, lorsqu’il avait l’occasion d’échanger quelques propos avec elle, il s’étonnait toujours de l’entendre reprocher à Aliénor son attitude hautaine vis-à-vis de lui et son goût du luxe. Pour autant que Béatrice brillât par ses toilettes, celles-ci conservaient une certaine sobriété, sa beauté et sa grâce naturelle suffisant amplement à faire se retourner sur son passage les regards des plus exigeants.
Finement, Béatrice dénigrait Aliénor tout en feignant de l’aimer, ce qui déconcertait Louis autant que cela le rassurait. Comme il était réconfortant de trouver quelqu’un qui le comprenait ! Quant à cette contradiction, il l’attribuait à son peu d’expérience des femmes et n’y voyait aucune malice. Une seule chose prévalait : grâce à la présence de Béatrice, il se sentait bien moins seul.
Quart lo rius de la fontana
S’esclarzis, si com far sol
E par la flors aiglentina
E’l rossinholetz el ram
Volfe refranh et aplana
Son dous chantar et afina,
Dreitz es qu’ieu lo mieu refranha.
« Quand l’eau de la fontaine
Devient plus limpide, comme cela arrive
Quand naît la fleur de l’églantier
Et que le rossignol sur la branche répète,
Module, roule et affine sa douce chanson,
Il est bien juste que je reprenne la mienne. »
– Encore, messire Rudel, encore ! implora Sibylle d’Anjou en battant des mains.
Mais Aliénor, qui régissait la cour d’amour, décida du contraire. Un jeune troubadour nommé Bertrand de Born se pliait aux caprices de ces dames et s’apprêtait à subir la dernière épreuve.
Les yeux bandés, on le fit tourner sur lui-même, pour le laisser enfin à genoux au milieu de la pièce dans le plus grand silence. Lors, tour à tour, les dames s’approchèrent et frôlèrent du bas de leur jupe les mains tendues du jeune homme. À ce simple contact, il devait reconnaître les atours de son aimée ; s’il réussissait, celle-ci acceptait d’être sa « dame » et qu’il se meure d’amour pour elle comme elle se mourait d’amour pour lui.
Chacune retint son souffle lorsque, majestueuse, Mélissinde de Bourgogne s’avança, le cœur battant. C’était elle qui recevait les faveurs du troubadour, malgré son mariage avec le vieux duc de Bourgogne. Le trouble qu’elle affichait suffit-il à capturer l’âme sensible de Bertrand ? Aussitôt après son passage, il lança d’une voix émue :
– Je n’en veux point d’autre que celle-ci, à mon cœur et pour toujours.
Mélissinde de Bourgogne manqua s’évanouir de bonheur. Aliénor laissa retomber le murmure qui avait couru dans l’assistance, puis s’exclama :
– Qu’on libère messire Bertrand !
Immédiatement, un page lui ôta son bandeau des yeux, et il chercha l’élue de son
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