Le lit d'Aliénor
au-dessus de son ventre, ponctuai de baisers son buste impatient.
– Que faisais-tu donc ? murmura-t-elle.
– Rien qui te déplaise, ma reine.
Lorsque ma bouche écarta ses cuisses, toutes les questions qu’elle pouvait se poser se noyèrent dans un flot de plaisir. Elle n’entendit pas Denys approcher ni ne se choqua de sentir d’autres mains sur elle.
Denys me remplaça habilement. À un moment, ses doigts effleurèrent ma peau et me brûlèrent. Ce fut pour moi le signal du départ. Ma chair trop longtemps oubliée réclamait ce sexe dressé que je devinais dans l’ombre. Je m’écartai de lui, d’eux, ramassai le châle qu’Aliénor avait fait glisser de mes épaules. J’avais le ventre en feu. Mais ma place n’était plus là. J’appartenais à Jaufré. L’oublier même pour une heure revenait à me perdre. J’aimais bien trop Denys et Aliénor pour participer à leurs ébats. J’attendais autre chose de leur communion, autre chose qui ne devait en rien m’inclure. Je m’éclipsai vers l’antichambre où je m’enroulai dans une couverture et, bercée par les gémissements d’Aliénor, je m’endormis à même le sol devant l’âtre flamboyant. Dans ma tête chantait une voix dont je ne connaissais que trop bien le timbre.
Jamais je n’avais vu Aliénor aussi épanouie. Dès le lendemain de cette nuit mémorable, elle me confia qu’il n’y avait aucune commune mesure entre Denys et Louis, et que je lui avais fait un présent royal. Je ne renouvelai pas ma requête à propos de Jaufré. C’était inutile. Ces simples mots m’avaient suffi à comprendre qu’elle était accordée. Un messager de Blaye déboula à bride abattue la semaine suivante. Jaufré se disait honoré d’accepter l’invitation de la reine et annonçait son arrivée. Jamais nouvelle ne me bouleversa autant. C’était comme si chaque fibre de mon corps se nourrissait soudain du moindre souffle de vent qui nous rapprochait ! Pour ajouter à cela, Denys affichait au fond des yeux une étoile pétillante que je ne lui connaissais pas. Il m’avait gratifiée d’un baiser sur le front la première fois que nous nous étions retrouvés seuls, quelques heures seulement après ses ébats royaux. « Je t’aime, petite fée ! » avait-il dit avant de s’enfuir en riant comme un enfant. J’étais restée les bras ballants. Il y avait tant de façons d’aimer, m’avaient appris Merlin et mère. Tant de façons qui généraient tant de joie ! J’étais heureuse.
Deux semaines plus tard, Jaufré arrivait au palais de la Cité avec Panperd’hu et un jeune troubadour de notre âge, Bernard de Ventadour, qui passait pour avoir séduit la comtesse pour laquelle ses parents travaillaient et dont la réputation avait amusé Aliénor. Le mari jaloux n’était aucunement fâché que son protégé aille chanter sous d’autres cieux. Ce qu’il comptait faire céans.
Mes retrouvailles avec mon aimé furent encore plus douces que je ne l’espérais. Je lui appris tout ce qui s’était passé depuis mon départ de Blaye et lui me raconta combien il lui avait été difficile de vivre chaque instant sans mon parfum sur l’oreiller. Il avait composé de nouvelles chansons, nostalgiques et lointaines, et je ne pouvais m’empêcher de frémir chaque fois que ses longs doigts osseux faisaient chanter les cordes de sa cithare. Oui, j’étais heureuse. Délicieusement, éperdument heureuse !
A quelque temps de là, un courrier annonça que l’Aquitaine était calmée et la paix revenue. Suger, chargé de l’intendance pendant l’absence de Louis, faisait de fréquentes visites au palais. À chacune d’elles, il se montrait souriant et affable. Béatrice, émoustillée à l’idée du retour du roi, avait retrouvé son éclat auprès des dames de compagnie que la longueur des jours ramenait vers les jardins. Même si elle avait perdu de son charme auprès de la reine, il lui restait suffisamment de charisme pour enjôler la cour et nombre de ces bécasses assorties de beaux damoiseaux s’y laissaient prendre. Je me réjouissais en secret du fait que, las d’espérer d’elle autre chose que du mépris, le comte de Flandres avait jeté son dévolu sur la demi-sœur de Geoffroi le Bel, Sibylle d’Anjou. C’était une compagne agréable de figure et d’allant, bien qu’un peu effacée et craintive. Je l’avais vue à plusieurs reprises en Anjou, et la retrouver à la cour où elle nous avait rejoints depuis
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