Le lit d'Aliénor
droit au château.
Jaufré ne voulait pas la guerre, mais non plus renoncer à son bien. Le siège dura huit mois, pendant lesquels la ville haute fut ravitaillée par le fleuve, grâce à un autre souterrain, invisible depuis la terre, qui s’ouvrait à marée basse au pied de la falaise. Le seigneur du Vitrezais ne pouvait y avoir accès. Jaufré se félicitait chaque jour que son assaillant fût si sot ! Grâce à ce stratagème, la ville pouvait tenir. Le seigneur du Vitrezais menaça de raser les faubourgs, embrasa le quartier Saint-Sauveur dont les gens avaient fui, mais Jaufré ne céda pas. La ville haute était imprenable.
Finalement, Jaufré se résigna à l’offensive. Il informa son suzerain et cousin Guilhem IV d’Angoulême, afin qu’il lui donne toute légitimité. Jaufré avait un jeune frère, Gérard, avec lequel il était brouillé et qui séjournait depuis quelques années à la cour d’Angoulême. À plusieurs reprises, Jaufré avait souhaité qu’il revienne à Blaye et le seconde tandis qu’il serait en route et en chemin. Cette fois encore, il l’appela à oublier leurs différends pour s’unir et préserver leur terre. Guilhem IV donna tout pouvoir à Jaufré pour régler ses affaires, mais Gérard ne vint pas. Lors, Jaufré se résolut à faire appel à son ami de toujours : Uc le Brun, seigneur de Lusignan.
Belliqueux et sans pitié, son compère régla vite la question. Il reconduisit les assiégeants à leurs frontières, non sans avoir décousu par l’épée ce bruyant voisin. Son cadet se montra plus raisonnable, s’arrangea des accords passés, mais Jaufré sentait bien que la menace persisterait. Ce sang bouillonnant ne rêvait que de conquêtes.
Rien ne put disperser sa tristesse devant les amas de pierres et de cendres. Blaye de nouveau était détruite, souillée, salie. Il fallait reconstruire. Dans un même élan, chacun se mit à l’ouvrage. Jaufré veilla à ce que tout rentrât dans l’ordre. Il était comme sa terre : meurtri. D’autant plus que, Gérard ayant refusé de revenir, il ne pouvait quitter ses gens pour me rejoindre. Malgré ses occupations, il se languissait de moi.
Nous entrions dans les premières chaleurs de ce mois de juin 1139. Depuis sa fausse couche, Aliénor demeurait fiévreuse au lever et avait perdu l’appétit. Elle ruminait sa rancœur comme un poison et cherchait à se venger de Suger qu’elle tenait pour responsable de l’accident. Pis, elle refusait toute caresse et avait congédié Denys, qui traînait sa peine comme un fardeau et passait ses journées en des entraînements épuisants à l’épée ou à la lance pour ensuite s’opposer aux tournois. Même à ceux-ci – il y en avait eu deux depuis Pâques -, la reine ne venait pas.
Louis ne savait que faire pour se racheter et craignait d’avoir perdu l’estime de son épouse avec le fils qu’elle avait porté.
Je passais donc une grande part de mes journées à essayer de la distraire tandis que Thomas Becket suivait avec intérêt les cours de ses maîtres. Comment en l’occurrence, occupée que j’étais à lui rendre le goût des choses et surtout de l’amour dont elle avait grand besoin, aurais-je pu m’inquiéter de ne plus recevoir de nouvelles de Blaye ?
Cela dura quelques mois. Aliénor ne décolérait pas. Seul Cadurc était autorisé à la voir. L’abbé lui conseillait la prière et lui lisait quelques passages de la Bible.
Ce matin-là, il s’annonça après l’office. Aliénor, victime d’un malaise, n’avait pu y assister. Je l’avais laissée depuis Pâques aux soins de l’apothicaire du palais mais, sa santé ne s’améliorant pas, j’avais décidé la veille au soir de prendre les choses en main et d’avoir recours à mes propres médecines. Dès que Cadurc fut dans la place, je descendis aux écuries. Il y avait, non loin de Sainte-Geneviève, un apothicaire qui faisait venir toutes sortes de poudres et de plantes des quatre coins du royaume et même d’Orient. Je trouverais chez lui les ingrédients qui m’étaient nécessaires pour le rétablissement de ma protégée. J’attendais que le palefrenier selle Granoë, appuyée négligemment contre un des piliers de la cour, lorsque mon regard fut attiré par un homme crotté qui tendait un rouleau de parchemin à un page de Béatrice. Les deux hommes ne m’avaient pas remarquée et parlaient librement :
– Remettez ceci à damoiselle de Grimwald. Aurai-je une réponse
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