Le lit d'Aliénor
seraient utiles, puis, avisant que personne ne m’avait vue entrer et sortir, je jetai sur l’apothicaire un sortilège qui lui fit oublier jusqu’au moindre détail de ma visite.
De retour au palais, je préparai ma poudre, et il ne fallut pas plus de huit jours pour qu’Aliénor retrouve sa vitalité et sa force. Cadurc jura que c’était grâce à la prière, l’apothicaire à ses bons soins, et Béatrice imagina sûrement que c’était de m’avoir démasquée. Quoi qu’il en soit, personne, pas même la reine, ne sut que chaque verre que je lui servais dans l’intimité ramenait dans son corps la vigueur qui lui manquait.
Béatrice ne parut pas à la cour de quelques jours et le bruit courut qu’elle était souffrante. Je me réjouis de voir que j’avais eu sur sa vilenie un effet aussi grand, mais me promis de rester sur mes gardes. Cette diablesse était bien capable de s’en venger.
La réponse de Jaufré fut courte, et me combla :
« Comment ai-je pu douter de toi quand je te sens vibrer dans le moindre souffle du vent ? Je t’aime tant ! »
L’été 1139 et sa chaleur s’installant, la cour se déplaça vers le sud. Une escale à Châtellerault permit à Denys de revoir son père. Loriane était éteinte, ne parvenant pas à surmonter la mort de son dernier fils, Thierrey, emporté l’hiver précédent par les fièvres. J’aurais voulu pouvoir la réconforter, mais son regard était ailleurs, dans un songe permanent qui n’acceptait personne. Denys l’embrassa doucement sur la joue avec une profonde tendresse, elle ne broncha pas davantage.
Avant de s’enfermer dans le silence, elle avait reproché à son époux l’injustice d’un destin qui lui avait enlevé son fils au lieu du bâtard qu’elle avait dû élever contre son gré. C’était la première fois qu’elle osait faire grief au vicomte de son infidélité. Ce fardeau qu’elle avait traîné en secret dix-sept années durant autant que cet ultime coup du sort avaient épuisé sa raison. Loriane allait mourir. Je le savais et n’y pouvais rien faire. Le vicomte s’était résigné à cette fatalité qu’il pressentait aussi. Sans doute se sentait-il coupable. Il n’en montra rien. Cependant, lorsque nous nous éloignâmes le cœur gros, il recommanda en aparté à la reine de prendre soin de son « bâtard » qu’il aimait tant et de lui donner un titre, pour le protéger de la haine de ses frères aînés. Aliénor promit.
À Poitiers, heureusement, le ton changea. La délégation royale fut accueillie aux acclamations de « Noël ! » et « Montjoie ! ». Au milieu d’elles, s’élevait comme une injure le nom du roi, en place de celui de la duchesse d’Aquitaine. Aliénor blêmit et serra les dents.
Suger était responsable de la popularité de Louis en ses propres terres. Suger qui avait adouci le châtiment qu’elle exigeait lorsque les Poitevins s’étaient constitués en commune. Suger qui avait bravé sa loi, s’était interposé entre son mari et elle, entre ses vassaux et elle ! Suger I Toujours Suger ! Elle se promit de le lui faire payer dès la première occasion.
Nous visitâmes aussi Bordeaux où Pernelle, plus jolie que jamais, coulait des jours heureux. Geoffroi du Lauroux, l’archevêque tant apprécié de leur défunt père, veillait sur l’éducation de la jeune fille et sur l’intendance du duché. Aliénor approuva ses registres, tout en enjoignant à sa sœur de se mêler au joyeux remue-ménage de la cour. Pernelle en fut enchantée, et bientôt ses malles et ses chambrières s’installaient à Poitiers, prêtes, dès l’été achevé, à nous accompagner à Paris.
Jaufré vint nous rendre de nombreuses visites. À chacune d’elles je brûlai, me consumai d’amour et de bonheur. Je lui appartenais corps et âme. Que n’aurais-je donné pour oublier qui j’étais et devenir sienne !
Quelques jours seulement après notre arrivée en Poitou, agacée par les Poitevins, Aliénor exigea que l’on se rende à Talmont pour voir de ses yeux la sentence infligée à son vassal Guillaume de Lezai qui, peu de temps après les événements d’avril, avait dérobé par bravade les gerfauts appartenant aux ducs d’Aquitaine. Louis lui avait tranché les pieds de ses propres mains, à son retour de Poitiers, pour tenter d’apaiser quelque peu la colère de son épouse. Mais cela n’avait pas suffi. Elle voulait constater que réparation lui avait été
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