Le lit d'Aliénor
constitués en commune et soulevaient d’autres places fortes autour de Poitiers.
– Ils occupent le palais, dites-vous ?
– En effet, ma dame.
– Quelle insolence ! Je ne puis l’admettre, Louis, vous m’entendez !
– Simple querelle, ma mie, que nous réglerons vite.
– Vous ne comprenez pas, Louis, on ne touche pas impunément à la demeure des ducs d’Aquitaine ! De plus, c’est une atteinte à votre prestige autant qu’au mien.
L’œil de Louis s’alluma. Il n’avait pas envisagé la question de la sorte. Pourtant, à l’évidence, c’était son autorité qu’on bravait.
– J’enverrai quelques troupes.
Aliénor cogna violemment de son poing fermé le plateau de sa coiffeuse.
– Que les gens de Thibault de Champagne vous accompagnent !
– Est-ce nécessaire ? s’enquit prudemment le roi, que ce geste de colère avait surpris.
– Je vous veux à la tête d’une armée, Louis, et je veux celle de ces fomentateurs de révolte.
Louis écarquilla les yeux. Jamais encore, il n’avait vu Aliénor éprouver pareille haine, surtout envers ses gens. C’était décidé, il lui offrirait sa victoire.
Thibault de Champagne, duquel le roi s’était rapproché depuis le départ de Raoul de Crécy, ne se laissa pas convaincre. Louis pouvait fort bien se passer de ses hommes. Il n’y avait à son sentiment aucune raison de provoquer pareil déménagement. Ce n’est qu’en avril 1139 que Louis, avec une troupe de deux cents cavaliers, partit pour Poitiers, tandis qu’Aliénor, rongée par la rage, se faisait un allié en la personne d’un jeune clerc berrichon nommé Cadurc, fort savant et bel homme, qui avait l’avantage certain de la trouver parfaite.
Devant la colère de Louis, les Poitevins n’opposèrent aucune révolte et le palais fut libéré sans que la moindre goutte de sang fût versée. Ce n’était pas suffisant pour la reine. Louis obtempéra. A contrecœur, il désigna de jeunes otages parmi les familles les plus importantes et les exila de part et d’autre du royaume, soulevant une clameur réprobatrice à travers le royaume. C’est alors que Suger intervint. Sans prévenir. Lui qui s’était jusque-là abstenu de participer au débat fronça le sourcil en apprenant la nouvelle. Bien qu’occupé à préparer les fêtes de Pâques, il fonça vers Poitiers.
Autant dire que cela agaça Aliénor. Suger n’eut qu’à sermonner en brandissant la volonté de Dieu, et Louis l’enfant de l’Église, Louis le prêtre-roi, s’agenouilla devant son confesseur et demanda pardon. Dès le lendemain de l’arrivée de Suger, la sentence était levée et les jeunes gens réintégraient leurs familles. Non seulement Louis matait la révolte, mais il attirait soudain une sympathie que sa clémence auréolait de panache. Blotti dans le sillage de Suger, comme un jouvenceau cachant sa faiblesse, il revint vers Aliénor la tête basse.
Son épouse le reçut dans une mare de sang. Elle venait de perdre son enfant. Un fils.
Elle était livide et accusatrice. Louis l’avait contrariée. Louis n’avait pas vengé son honneur. Louis avait menti. Et, plus encore, Louis s’était trompé ! Dieu avait rejeté sa clémence. Sinon comment expliquer cette fausse couche ? Bouleversé, le roi ne trouva rien à répondre. Le doute était en lui. Il n’était pas responsable. C’était Suger qui avait été l’instrument de Dieu. Suger s’était trompé. Il l’avait trompé. Mais ne l’avait-il pas fait de bonne foi ? Dieu n’est que pardon, disent les saintes Ecritures. Où était la vérité de Dieu ? Chaque fois qu’il en arrivait à cette question, il avait devant les yeux l’image de ce fœtus ensanglanté.
Il ne sut que pleurer au chevet de sa reine. Mais Aliénor ne lui accorda aucun regard de pitié. Pour la première fois de sa vie, elle avait au cœur une haine qui eût noyé Paris dans le même sang que celui de sa propre chair.
Quelque temps plus tard, sans doute pour tenter d’éclairer un peu le visage fermé de son épouse, Louis écarta Suger de la cour, et Cadurc fut promu à de hauts titres et prébendes afférentes.
Lors de plusieurs débats théologiques dans les vergers du palais, je me liai d’amitié avec un jeune clerc nommé Thomas Becket, qui, venu d’Angleterre pour étudier en l’île de la Cité, me donnait des nouvelles régulières : Mathilde gagnait du terrain de jour en jour et, à son avis, ne tarderait pas à
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