Le lit d'Aliénor
cette fois ?
– Non. Vous pouvez aller.
Je faillis bondir pour m’interposer mais je me retins. Abandonnant tous mes projets, je suivis le page à quelque distance. Comme je le pressentais, il se dirigea droit vers les appartements de Béatrice.
Je le laissai ressortir, cachée dans une encoignure, puis forçai la porte de la belle. Mon irruption la fit pâlir. Elle tenait en main le parchemin. Sans lui laisser le temps de se reprendre, je fonçai droit sur elle et m’emparai du document, l’œil mauvais.
– Vous permettez ?
Un coup d’œil sur la signature me renseigna. Jaufré ! Mon cœur bondit de rage. Béatrice redressa la tête :
– Comment osez-vous vous introduire ici ?
– Comment osez-vous subtiliser du courrier qui ne vous est pas destiné ?
– C’est une regrettable méprise. Je venais de me rendre compte que c’est à vous qu’il était adressé.
J’eus un rire mauvais et avançai d’un pas. Elle recula d’autant. Je lui faisais peur. C’était visible.
– Et je suppose que vous comptiez m’en avertir sur-le-champ ?
– Évidemment ! lança-t-elle en bredouillant, tentant désespérément de retrouver sa superbe.
J’en avais assez de ce petit jeu.
– Où sont les autres ? demandai-je d’un ton sans équivoque.
Elle redressa le menton crânement.
– Je ne vois pas de quoi vous voulez parler !
– Ne m’agacez pas, Béatrice. Je suis lasse de vos manigances et vous n’imaginez pas le quart de ce dont je suis capable.
Elle se força à rire d’un petit jet sec par bravade.
– Certes ! Je n’essaie pas d’empoisonner la reine, moi !
Je restai bouche bée, mais, supposant qu’elle tentait une feinte, j’esquivai :
– Si vous vous imaginez vous en tirer avec des accusations de cet ordre, vous vous trompez. Je sais que vous détenez d’autres courriers. Je les veux, Béatrice.
– Au diable ces balivernes ! Que penserait le roi de votre commerce avec la sorcière du marais ? Je suis sûre qu’il y verrait un argument à la mauvaise santé de son épouse, tout comme vos manigances avec Thomas Becket, quand on sait les alliances de Sa-Majesté avec l’Angleterre !
J’étais abasourdie. Cette petite peste ne se mêlait que de me nuire. Cette fois, j’en avais assez. En deux pas je fus sur elle, et ma fureur l’obligea à se réfugier contre le mur, dans l’angle d’un meuble. Elle était décomposée. Je m’arrêtai contre son souffle alors qu’elle appelait à la garde d’une voix morte qui n’ébranla pas l’épaisseur de la porte. Je la dépassais d’une tête. Je lâchai entre mes dents, une furieuse envie de la gifler au bout des doigts :
– Croyez ce que bon vous semblera, sombre idiote. Cela m’indiffère ! Vous ne prouverez rien, jamais ! A présent, dites-moi où se trouve ce que je cherche ou je vous jure par Dieu de fracasser contre ce mur votre petite figure de madone.
Elle se liquéfia, bredouilla quelques mots que je ne compris pas et que je la forçai à répéter. Elle se contenta de tendre un doigt timide vers un meuble agrémenté d’une douzaine de tiroirs.
Je m’écartai tandis qu’elle se laissait glisser contre le mur, à demi évanouie. J’ouvris un à un les tiroirs et fouillai sans ménagement. Je trouvai dans le quatrième une dizaine de parchemins portant un sceau que je reconnus sans hésitation. Je m’en emparai, puis, me tournant vers sa forme avachie et au bord des larmes, je proférai comme une menace :
– Que je ne vous y reprenne pas ! Sans quoi je vous ferai rentrer dans la gorge jusqu’à la moindre de vos insinuations !
Tournant les talons, je la plantai là.
Enfermée dans ma chambre, je dévorai avec avidité l’écriture de Jaufré. Au fil des lettres, mon aimé me suppliait de lui répondre, me racontait ses contraintes qui l’empêchaient de me rejoindre et me disait son incompréhension devant mon silence. L’aurais-je remplacé ? Il se mourait d’amour. J’en fus bouleversée. Je me jurai de faire payer à cette peste le prix de sa souffrance. Armée d’une plume, je rédigeai sans tarder une réponse dans laquelle je lui expliquais tout et lui jurais fidélité éternelle.
Quelques heures plus tard, un messager dans lequel j’avais toute confiance partait vers Blaye, et je me dirigeai vers Sainte-Geneviève pour faire mes emplettes. Je pris bien plus de plantes que je n’en avais besoin afin de dissimuler dans le vaste choix celles qui me
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