Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
avait espéré échapper à cette question. Il referma la portière
et reprit sa place sur la banquette.
– Vous
méfiez-vous encore d’elle, lord Westbury ? Je croyais que vous étiez
maintenant convaincu qu’elle ne travaillait pas pour son père.
– Je
ne sais que penser, à dire vrai. N’avez-vous rien appris de nouveau à son
sujet ?
– Non,
rien, mentit Clayton, passant sous silence la carrière de cambrioleuse de la
jeune femme.
– Continuez à garder un
œil sur elle néanmoins, et essayez de vous intéresser aussi à sa sœur Angelia.
Vous pouvez disposer à présent.
Sans un mot, Clayton
sortit de la voiture et s’éloigna sur la route.
X
Fidèle
au souvenir de Cassandra, le château de Carwyn dominait du haut de son éperon
rocheux les collines verdoyantes du Pays de Galles qui s’étendaient à perte de
vue aux alentours. Massive et silencieuse, la forteresse paraissait toujours
abandonnée, si l’on exceptait la présence de trois milans royaux qui volaient
en cercle au-dessus des tours.
Cassandra
franchit le pont-levis et la herse, puis demeura quelques instants à l’entrée
de la cour intérieure, balayant les remparts des yeux. Les tours crénelées se
découpaient sur un ciel violacé, menaçant. Tous les volets et portes étaient
clos, et le château donnait l’impression d’être complètement replié sur
lui-même, de flotter en dehors de l’espace et du temps.
La
jeune femme traversa la cour et s’arrêta devant la porte principale, au-dessus
de laquelle un blason aux couleurs fanées était scellé dans la muraille. Le
sceau de l’âge était imprimé sur chaque décor, chaque ornement. L’émotion noua
la gorge de Cassandra. Enfin, elle rentrait chez elle.
Cassandra
s’était attendue à une résistance, il n’en fut rien. Une simple pression de la main
sur la lourde porte de chêne ferrée, et celle-ci s’ouvrit toute grande, comme
si le château avait guetté le retour de la jeune femme durant toutes ces
années. Cassandra hésita quelques secondes sur le pas de la porte. Rien ne
bougeait à l’intérieur. Elle s’avança dans un vaste hall dallé de carreaux
noirs et blancs. Le bruit de ses pas résonna dans la pénombre, réveillant des
échos jusqu’au tréfonds de la demeure. Lambrissés de chêne, les murs du hall
étaient décorés de trophées de chasse, des têtes de cerfs pour la plupart. Mal
à l’aise, Cassandra poursuivait sa progression sous le regard vitreux des
animaux empaillés. Elle avait le sentiment d’être observée, et pas uniquement
par les cerfs et les chevreuils.
Deux
portes donnaient sur le hall. Cassandra poussa celle qui se trouvait sur sa
droite et pénétra dans ce qui ressemblait à un petit salon. Une épaisse couche
de poussière recouvrait les rares meubles disséminés dans la pièce, comme si le
château avait déposé un linceul sur ses trésors. La jeune femme fit quelques
pas incertains dans le salon. Tout près d’elle, une porcelaine tomba d’un
guéridon à son approche. Le fracas qu’elle fit en se brisant rebondit contre
les murs de pierre nus comme une balle dans un jeu de paume, et Cassandra
sursauta violemment. Il fallait qu’elle se calme, elle avait les nerfs à vif.
Elle s’immobilisa, inspira profondément, puis, quand les pulsations de son cœur
se furent un peu apaisées, tenta de faire resurgir des images de son enfance.
Elle était née dans cette demeure, y avait passé les premières années de sa
vie, il devait forcément lui en rester quelques bribes de souvenirs. Mais non.
Rien ici ne lui était familier ; sa mémoire était aussi assoupie que le
château. Déçue, Cassandra quitta la pièce pour retourner dans le hall qu’elle
balaya du regard. De nouveau, elle avait l’impression de ne pas être seule.
Les
sens aiguisés, elle se dirigea vers la seconde porte. Au passage, elle fit
glisser sa main sur la rampe du massif escalier qui s’élançait du hall vers les
étages noyés dans les ténèbres. Des nuages de poussière s’envolèrent et se
mirent à flotter paresseusement dans l’air immobile.
Jamais
Cassandra n’avait éprouvé une telle sensation de vide. L’absence de mouvement
autour d’elle l’oppressait. Le départ de la famille Rutherford avait précipité
le château dans la ruine. Comme s’il s’était vidé de son sang en même temps que
de ses habitants. Et aujourd’hui, le passé semblait être devenu inaccessible,
enfoui à jamais dans les
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