Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

profondeurs secrètes de la vieille demeure…
    Cassandra
poussa l’autre porte qui céda sans difficulté. Le battant s’ouvrit en silence,
soulevant de nouvelles nuées poussiéreuses qui la firent tousser.
    Cette
nouvelle pièce, qui avait sans doute été également un salon, était immense mais
vide de tout mobilier. Quelques souris combattaient l’inertie ambiante en
s’activant sur le tapis persan élimé qui couvrait le sol. Elles détalèrent à
l’entrée de Cassandra pour disparaître dans des fissures de la boiserie. La
jeune femme les remarqua à peine : son regard s’était arrêté sur la plus
proche des trois fenêtres en saillie qui occupaient le mur ouest. Un de ses
volets avait été arraché et pendait lamentablement sur ses gonds. Par
l’ouverture ainsi dégagée, une lumière voilée éclairait le salon avec parcimonie,
hormis le fond de la pièce qui demeurait obstinément dans la pénombre. À
l’extérieur, le soleil avait presque disparu, laissant le ciel gorgé de tons
pourpres et or.
    Cassandra
s’apprêtait à rebrousser chemin pour visiter le reste du château quand un éclat
brillant attira son attention. Il provenait du mur du fond, mais il faisait
trop sombre dans cette partie de la pièce pour distinguer quoi que ce fût. Elle
regretta de ne pas avoir eu la prévoyance d’emmener une lampe, ce qui lui
aurait évité une pénible bataille avec les volets vermoulus des trois fenêtres.
Ceux-ci opposèrent d’abord une résistance farouche à ses tentatives pour les
ouvrir, avant de céder avec force grincements et gémissements de protestation.
Enfin, lorsque la lumière ne rencontra plus d’obstacles et put à son aise se
déverser dans la pièce, Cassandra se retourna vers l’endroit qui avait accroché
son regard.
    Ce fut alors qu’elle le
vit.
    Une
lame froide passa sur son cœur, et un instant, le souffle lui manqua.
    Saisissant
de vérité, le portrait en pied grandeur nature d’un homme dominait la pièce.
Ceint d’un imposant cadre doré, le tableau frappait non seulement par ses
couleurs, splendides, mais surtout par la perfection physique du modèle
qu’avait su rendre le peintre. De belle prestance, grand et bien découplé,
l’homme possédait en outre un visage d’une beauté sombre, hypnotique, dont il
était difficile de détacher le regard. Ses yeux aux reflets violets semblaient
transpercer Cassandra, tandis que sa bouche bien dessinée ébauchait un sourire
vaguement ironique. La chevelure blonde qui surmontait son front tranchait par
sa couleur claire sur l’arrière-plan de la toile, constitué d’un simple rideau
de velours noir.
    Mais
ce n’était pas tant la beauté de l’inconnu qui statufia Cassandra que son air
familier. Elle avait déjà contemplé à maintes reprises ces traits délicats, qui
paraissaient ciselés par le burin du plus habile des sculpteurs. Mais retrouver
ce visage ici, dans ce château qui les avait vus naître, Angelia et elle…
Comment une telle aberration était-elle possible ?
    Cassandra
ferma les yeux, les rouvrit. L’homme était toujours devant elle, la défiant du
regard. Elle se mordit les lèvres, puis, comme si le fait de prononcer son nom
à haute voix pouvait rompre l’illusion, elle murmura :
    –  Gabriel…

XI
    –  Gabriel…
répéta Cassandra hébétée, les yeux rivés au tableau.
    –  Non, corrigea une voix
derrière elle. Ce n’est pas lui.
    Cassandra
se retourna vivement. Altière et hiératique, une mince silhouette se tenait dans
l’embrasure de la porte, ses mains gantées de noir croisées devant elle. La
lumière de la fenêtre se déversait directement sur son visage ; ses traits
fins et limpides, ses yeux pâles aux cils cendrés, sa chevelure dorée en
étaient illuminés.
    Elle n’avait pas changé.
    –  Dolem…
    Dolem, l’homonculus créé par Cylenius au XIV e siècle. Que faisait-elle
ici ? Pourquoi avait-elle choisi ce moment précis pour daigner enfin
sortir de sa retraite ? Ces questions traversèrent l’esprit de Cassandra
mais elle ne s’y attarda pas. Ses précédentes rencontres avec Dolem lui avaient
enseigné la patience, voire un certain fatalisme ; la voyante avait pour
habitude de fixer les règles du jeu à sa guise. Du reste, Cassandra était à
peine étonnée de la voir en ce lieu. Après le choc que lui avait causé le
tableau, plus rien ne pouvait la surprendre.
    –  Si ce n’est pas Gabriel,
qui est-ce ?
    L’intervention
de Dolem lui