Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

Déjà déçue d’apprendre par Jeremy que la
résolution de l’enquête sur l’Astrum et les meurtres
de la Dame Noire n’avait apporté aucun éclaircissement sur la mort de son père,
les retrouvailles de Gabriel et lord Ashcroft lui portaient un nouveau coup.
Même si le jeune homme avait selon toute apparence repoussé la tentative de
réconciliation du lord et était rentré à la maison comme d’habitude, Victoria
pressentait que tout risque n’était pas écarté. Son intuition fut confirmée au
dîner ; Gabriel y apparut d’excellente humeur. Il semblait que le voile de
tristesse qui l’enveloppait en permanence s’était dissous comme sous l’effet
d’un charme, et il ne fallait pas chercher bien loin pour découvrir qui était
responsable du charme en question. Même Mrs. Brown, pourtant guère
observatrice, avait remarqué le changement qui s’était opéré chez Gabriel. Elle
en avait touché un mot à Victoria lorsqu’elles s’étaient retrouvées seules, et
celle-ci, qui ne pleurait jamais, avait été à deux doigts de fondre en larmes.
Un désespoir rageur mêlé de jalousie lui mordait le cœur.
    Les
pires craintes de Victoria se réalisèrent quand elle ouvrit la porte. La jeune
femme reconnut la livrée du valet, et comprit aussitôt qui l’envoyait et dans
quel but. Elle eut l’impression fugace que les mâchoires d’un piège se
refermaient sur elle.
    Comme
elle s’y attendait, le visiteur demanda à voir Mr. Dashwood pour lui remettre
un pli de la plus haute importance, selon ses propres termes.
    –  Il
n’est pas là, l’informa Victoria. Il vient de partir travailler.
    Ce qui, par chance,
était la stricte vérité.
    Le domestique parut
fâché de ce contretemps.
    –  Je
dois pourtant lui remettre cette lettre le plus tôt possible. Où puis-je le
trouver ?
    –  Vous
ne pouvez le déranger à son travail, objecta Victoria d’un ton vif. Le plus
simple serait que vous me la confiiez, je me chargerai de la lui donner à son
retour.
    –  C’est
impossible, Miss, je dois la lui remettre en mains propres, insista le
domestique. Je repasserai plus tard, à quelle heure sera-t-il là ?
    Victoria
observa le valet avec attention, notant le pli affaissé de sa bouche, son
expression maussade. Elle savait que les domestiques étaient souvent mal
rétribués, y compris dans les grandes maisons, et une idée subite la traversa.
    –  Attendez-moi ici,
dit-elle, je reviens.
    Elle
tourna les talons et monta l’escalier en courant, relevant les pans de sa robe
à deux mains. Une fois dans sa chambre, elle se dirigea vers la commode et en
sortit un coffret ouvragé. Elle conservait à l’intérieur les rares bijoux
qu’elle possédait encore. Parmi eux, un magnifique bracelet en or incrusté de
pierres précieuses tout droit venu de la place Vendôme à Paris, que lui avait
offert son père à l’occasion de son dix-septième anniversaire. Elle l’examina
un instant, émue à la perspective de s’en séparer, mais elle n’avait pas le
choix.
    Victoria
dévala les marches et fut soulagée de constater que le valet n’avait pas bougé
de sa place. L’or du bracelet luisait dans la pénombre de l’entrée, et les yeux
du domestique s’agrandirent sous l’effet conjugué de la surprise et de la
convoitise. Le cœur battant, Victoria joua son va-tout.
    –  Ce bracelet est à vous
si vous me donnez la lettre.
    L’homme avança une main
hésitante, toucha du doigt le bijou.
    –  C’est vraiment de
l’or ? demanda-t-il d’une voix altérée.
    –  Bien
sûr. Il vous faudrait travailler une vie entière pour vous l’offrir.
    Le
domestique demeura immobile, la respiration haletante, les yeux braqués sur le
bracelet.
    –  Alors,
que décidez-vous ? le pressa Victoria, nerveuse à l’idée que quelqu’un les
surprenne.
    Lentement,
il tendit l’enveloppe à la jeune femme qui s’en empara sans perdre une seconde.
Poussant son avantage, Victoria déclara :
    –  Si
votre maître vous confie d’autres missives pour Mr. Dashwood, apportez-les moi
directement. Je saurai vous récompenser.
    Le
valet acquiesça en faisant disparaître le bracelet dans une poche de son habit.
Puis, sans ajouter un mot, il s’empressa de quitter les lieux.
    D’un
mouvement furtif, Victoria glissa l’enveloppe dans son corsage. Le péril était
provisoirement écarté, et c’était là le principal.
    Victoria
conserva la lettre toute la journée, indécise quant à la conduite