Le livre des ombres
la veuve Dauncey ? Jamais !
s'exclama Neverett.
— Impossible ! déclara Sir Raymond en écho.
Dionysia Dauncey découvrit sa figure ravagée.
— Eh bien, vous vous trompez. Ce que j'ai enduré ne regarde que moi. Tenebrae m'a envoyé une lettre me menaçant de révéler à tout le monde le mal qui est en moi, pour qu'on se moque de moi. Il promettait de s'en abstenir si je lui accordais ma main.
Elle posa sur Kathryn un regard pitoyable.
— Il voulait s'approprier ma fortune, mes magasins, mes entrepôts, mes biens, tout ce que je possède. Il m'a fait connaître ses exigences à l'époque où je pensais avoir découvert le bonheur, ajouta-t-elle amèrement. Maître Fronzac et moi nous étions liés d'amitié. Nous n'étions pas amants, il n'y avait entre nous ni passion ni romance, mais il m'offrait un mariage de convenance fondé sur le compagnonnage et l'affection.
La veuve lissa le dessus de la table de ses longs doigts osseux.
— C'est du moins ce que je pensais. Maîtresse Swinbrooke a vu juste, poursuivit-elle, j'ai tout avoué à Fronzac, et nous avons mis au point un plan pour tuer Tenebrae.
Elle se sourit à elle-même.
— Il aurait pu marcher. Fronzac avait même fabriqué une statuette en cire du mage qu'il avait transpercée avec un clou et abandonnée dans un lieu public.
— Oh oui, dit Kathryn, le mage est mort, mais sa magie noire, vous n'avez pas pu l'assassiner, elle !
CHAPITRE XII
La veuve Dauncey fusilla Kathryn de ses yeux qui scintillaient dans son visage ravagé.
— C'était un acte pieux, déclara-t-elle d'une voix âpre. Tenebrae était un homme nuisible, un pervers. Il m'avait attirée dans un piège sans issue.
Si je l'avais épousé, il m'aurait tuée. Il vivait profondément enfoncé dans le mal.
— Mais pourquoi avoir tué Fronzac? demanda Hetherington.
— Ce fut ma seconde erreur, murmura Dionysia Dauncey. Il était parti de chez Tenebrae avec le
Livre des ombres, mais avant de me le remettre, il l'a lu avec soin.
Elle eut un rire bref.
— Outre les charmes, les incantations et les malédictions, l'ouvrage contient des pages et des pages où le mage avait consigné ce qu'il savait, ainsi que les endroits où il avait caché sa fortune mal acquise. Le soir de la mort de Tenebrae, Fronzac m'a remis le grimoire, me disant que ce qu'il y avait appris lui assurerait assez d'argent pour vivre fortuné tout le reste de ses jours.
La veuve secoua la tête, les larmes aux yeux.
— Il m'a dit également qu'il ne voulait plus m'épouser. Le lendemain matin, nous nous sommes un peu disputés, et je l'ai supplié de réfléchir.
— Et il a accepté de vous retrouver derrière l'enclos, n'est-ce pas? intervint Kathryn.
— En effet. Je me suis glissée hors du Faucon Crécerelle, et j'ai descendu la ruelle. Fronzac m'a ouvert le portail.
La veuve semblait tant souffrir que Kathryn éprouva de la compassion pour elle.
— Il s'est mis à rire, poursuivit Dionysia. Il disait qu'il achèterait une taverne comme le Faucon Crécerelle. Et moi, j'étais lasse : lasse de Tenebrae, lasse de Fronzac, et lasse de moi-même. J'ai ramassé un morceau de bois, je lui ai couru après et je l'ai frappé derrière la tête. Tout était fait avant même que je l'aie réalisé. J'ai ouvert le portillon de l'enclos, j'y ai jeté son corps avant de m'enfuir.
La veuve abaissa les yeux sur ses mains.
— Dieu sait comment j'ai trouvé la force et le courage d'agir ainsi. J'ai juste relevé le corps, l'ai traîné sur le sol. Les sangliers tournaient en rond : ils avaient dû sentir le sang. Après, je me suis rendue chez l'orfèvre.
Ce disant, la veuve Dauncey jeta un regard incisif à Kathryn pour demander :
— Comment avez-vous su?
— Au début je n'ai pas compris, avoua celle-ci.
Cependant, quand j'ai déduit que Fronzac était impliqué dans le meurtre, j'ai su qu'il avait dû avoir un complice. Ce pouvait être vous ou Greene, les deux derniers à avoir rendu visite à Tenebrae.
Ensuite j'ai réfléchi à la mort de Fronzac, et à cette visite à un orfèvre dont vous m'aviez parlé. J'ai trouvé singulier qu'un membre d'une importante guilde d'orfèvres de Londres aille acheter son alliance dans une boutique de Cantorbéry. En outre, puisque vous l'aviez fait, pourquoi ne pas rapporter cette bague à l'auberge pour la montrer à votre futur mari ? Evidemment, vous vous en êtes abstenue puisque vous saviez que Fronzac était mort. Aussi, en personne toujours
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