Le livre du cercle
puis il posa le livre et se tourna vers Will.
— Fais-moi
voir ça.
— Que
fait Hasan ici, maître ?
— Je
lui ai demandé de faire une course pour moi. Allez, donne-moi ça ! lui ordonna
Everard en claquant des doigts.
Will
s’interrogeait sur la présence de Hasan à Paris : il ne l’avait pas vu depuis
plus d’un an, mais il se rendait bien compte qu’il n’obtiendrait pas de réponse
d’Everard. Le prêtre semblait encore plus mal disposé que de coutume. Will
s’attarda un instant près de la porte en pensant que ce n’était peut-être pas
le meilleur moment pour le relancer à propos de son initiation, mais Everard
attendait. Will s’avança et lui tendit les parchemins.
Le
prêtre déroula précautionneusement l’original sur la table et étala avec moins
de précaution la traduction de Will, puis il commença à lire en passant de l’un
à l’autre.
— Je
voulais aborder un sujet avec vous, maître, se risqua Will.
— Dis-moi
ce que signifie le mot arabe asal , sergent.
— Comment?
Everard
leva les yeux vers lui.
— Miel,
répondit Will après un bref silence.
— Alors
comment se fait-il qu’au lieu de miel mélangé à de l’huile d’olive et de
l’huile de girofle, ton travail établit qu’il faut tremper une aile de busard
dans l’huile d’olive pour obtenir un remède contre les fièvres ? Je ne suis
certes pas expert dans ce genre de traitement, mais je reste tout de même très
sceptique sur les effets d’un tel brouet contre les fièvres.
— Je
vous avais prévenu que le texte est à peine lisible par endroits.
— Peut-être
aurait-il été plus clair à la lumière du jour. Il ne fait aucun doute que ta
traduction est criblée d’erreurs. Nous savons tous deux que tu t’es dépêché
d’en venir à bout. Tu étais tellement pressé que tu as travaillé à la nuit
tombée, quand tu ne voyais pas plus loin que le bout de ton nez.
Everard
jeta le parchemin aux pieds de Will.
— Recommence.
Will
éprouva soudain l’envie de cogner le prêtre.
— J’ai
passé des heures sur cette tra...
— Es-tu
allé dans une taverne hier, sergent ? le coupa Everard.
— Comment
? Non.
— Comme
c’est bizarre. Je parlais avec le visiteur hier quand un garçon, un
palefrenier, est venu s’annoncer. Il arrivait de Londres. J’ai entendu ce qu’il
disait au maréchal. Il était tout excité, il venait de rencontrer son vieux
camarade Will Campbell en ville. Et pour tout dire, il avait l’air plutôt ivre.
Or, nous savons, toi et moi, que tu goûtes fort les libations.
Everard
fit un geste dédaigneux en lui montrant la porte.
— Pars.
Laisse-moi.
— Pourquoi
ne pouvez-vous jamais finir une conversation ?
Everard
parut sidéré que Will eût osé crier sur lui. Le poing serré, il frappa un grand
coup sur la table.
— Tu
sembles oublier qui est le maître et qui est l’apprenti !
Il
se leva et marcha en boitant vers Will.
— Je
t’ai déjà donné le fouet une fois, mon garçon. Je n’aurais pas de remords à le
refaire.
Will
ne bougea pas d’un centimètre.
— Pensez-vous
que je crains une douleur momentanée alors que je travaille depuis six ans pour
vous ?
Les
yeux d’Everard s’arrondirent, puis il eut un rire discordant qui se conclut en
quinte de toux.
— Eh
bien, cracha-t-il au milieu des spasmes, si le fouet... te semble encore trop
bon... peut-être une punition plus appropriée... serait de t’envoyer... dans
une garnison perdue... au milieu du désert... sur la ligne de front !
— Vous
pensez à la ligne de front sur laquelle mon père se bat ? Si c’est le cas,
n’hésitez pas à m’y envoyer. Ce ne serait pas une punition, mais une bénédiction.
Everard
s’agrippa au coin de la table. Avec la sueur qui perlait à son front, sa peau
ressemblait à du suif fondu.
— Idiot
! soupira-t-il. Tu ne connais rien à la guerre. Tu n’as jamais été sur un champ
de bataille, avec le bras en feu à cause du poids de ton épée, couvert du sang
de tes camarades, ignorant quand viendra le coup fatal qui t’expédiera au
royaume de Dieu.
— J’ai
tué un homme quand j’avais treize ans, murmura Will.
— Rien
de ce que tu as vu ou fait dans ta courte vie ne peut t’avoir préparé.
Everard
s’affala soudain sur sa chaise.
— Alors
apprenez-moi, dit Will en s’approchant du prêtre et en posant ses deux mains à
plat sur la table. Préparez-moi. Je veux apprendre.
— Non,
marmonna Everard en tournant la page de son
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