Le livre du cercle
tombaient sur les
yeux. Quand le silence devint intolérable, il se força à sourire et à tendre la
main.
— Simon
m’a dit que tu venais d’arriver. Ça remonte à loin, notre dernière rencontre.
Garin
hésita un instant avant de lui serrer la main.
— Comme
tu dis. Comment vas-tu ?
— Bien.
Et toi ?
— Bien.
Il y
eut un autre silence.
— Comment
va Londres ? demanda Will, sans rien trouver d’autre à dire.
— Sale
et bondé, dit Garin en lui adressant un sourire forcé. Comme toujours.
— Qu’est-ce
que tu fais ici ?
Will
réalisa qu’il avait prononcé ces mots avec plus de vigueur qu’il ne l’avait
voulu, comme s’ils recelaient quelque reproche secret.
— J’ai
demandé un transfert. Il y a peu d’opportunités d’avancement à Londres. Avec le
visiteur, j’ai plus de chances de devenir commandant ici.
Les
yeux de Garin se portèrent brièvement sur la tunique de Will.
— Maintenant
que je suis chevalier... J’ai entendu dire que tu travaillais comme secrétaire
?
Will
s’efforça de dissimuler la honte qu’il ressentait.
— Oui.
Mon maître, Everard, est prêtre.
— Everard
? fit Garin en fronçant les sourcils.
Il
avait l’air de le connaître, et peut-être même de lui en vouloir.
— Tu
as entendu parler de lui ?
Garin
secoua la tête et l’expression étrange disparut de son visage.
— Non,
je pensais à autre chose. Bien, dit-il en faisant mine de partir, j’ai
rendez-vous avec le visiteur. Je ferais mieux d’y aller.
— Ecoute,
Garin, dit vivement Will. Je sais que c’était il y a des années, mais je n’ai
jamais pu te dire que j’étais désolé de t’avoir frappé ce jour-là. Tu sais,
près de la tombe.
— C’est
du passé, répondit Garin. Nous avons tous les deux fait ou dit des choses à
cette époque que nous regrettons.
Il
hocha la tête et reprit son chemin, l’ourlet de son manteau blanc balayant le
sol.
Will
le regarda partir. Il fit rouler ses épaules, surpris de voir à quel point il
se sentait tendu. C’était un choc de voir comme son ancien ami avait l’air
mature. Il lui semblait qu’hier encore ils grimpaient aux arbres du Nouveau
Temple pour y voler des fruits.
Quand
il arriva devant la chambre d’Everard, Will toqua trois fois à la porte et
attendit que celui-ci lui dise d’entrer. Des années plus tôt, le prêtre lui
avait donné son propre signal pour s’annoncer. Pour Will, il était clair que
cette méthode, parmi d’autres, n’avait pour but que de lui faire comprendre la
place qui était la sienne.
Au
bout d’un moment, une voix croassa à l’intérieur.
—
Entrez.
Everard
était l’un des rares frères - ils étaient une petite poignée - à disposer de
leur propre cellule. Will n’avait jamais su pour quelle raison ce luxe lui
avait été accordé. Sur le mur du fond, au-dessus d’un lit étroit, une carte
représentait la Terre sainte avec Jérusalem en son centre et, plus au nord, les
cités d’Acre et d’Antioche. Chaque fois que Will contemplait cette peinture, il
se rappelait d’un chevalier du Nouveau Temple qui lui avait parlé d’Antioche,
l’un des cinq sièges épiscopaux les plus sacrés de la Chrétienté : c’était là
que les premiers chrétiens avaient suivi dans le plus grand secret les premiers
services dirigés par saint Pierre lui-même. Le chevalier avait décrit une vaste
ville débordant de richesses et protégée par une muraille s’étendant sur plis
de cent arpents 1 , avec une citadelle qui s’élevait si haut sur les cimes
des montagnes qu’elle touchait les nuages. Bien entendu, Will n’en avait pas
cru un mot. Rien ne pouvait être haut au point de toucher les nuages. Mais
quand il avait vu pour la première fois la peinture, avec le château s’élevant
au-dessus de la montagne, il s’était dit qu’après tout c’était peut-être vrai.
Comme
d’habitude, Everard était assis à sa table. Il travaillait à une traduction,
penché sur un livre, ses mèches de cheveux blancs agglutinés sur le crâne comme
des toiles d’araignées. La flamme de l’unique bougie vacillait à cause du léger
courant d’air passant sous la tapisserie qui couvrait la fenêtre. Quand Will
ferma la porte, le prêtre leva un instant la tête, puis il se remit à étudier
ses pages d’un air maussade.
— Que
veux-tu, sergent ?
Will
montra les parchemins.
— Ma
traduction du traité d’Ibn Ismail. Je l’ai terminée.
Everard
continua à lire un bon moment,
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