Le livre du cercle
pas, mais Campbell te sert loyalement
depuis six ans, alors même que tu lui as refusé l’initiation sans raison.
— Il
n’y a pas de raison de hâter l’initiation, contrairement à ce que semblent
penser tous les jeunes gens d’aujourd’hui.
— Tu
m’as dit à quel point il t’est devenu une aide précieuse.
— Campbell
n’est pas prêt, trancha sèchement Everard. Et tant que je n’aurai pas décidé du
contraire, il ne jouera aucun rôle dans nos affaires.
— Il
ne pourra jamais faire ses preuves si tu ne lui en donnes pas l’occasion. Tu le
brides. Il pourrait t’être utile. Il pourrait nous être utile. Je sais à quel
point James aimerait qu’il fasse partie de notre Cercle.
Hasan
attendit quelques secondes avant de poursuivre, d’une voix aussi douce que
possible.
— Mon
frère, tu n’es plus aussi jeune que tu le crois. Qui continuera ton travail ici
quand tu seras parti ? Pas moi. Pas ici, en Occident. Notre travail - la collecte
et la diffusion du savoir - est important, mais tu devras bientôt retourner en
Orient. Les autres ont besoin de leur maître, surtout maintenant que le conflit
prend de l’ampleur. Il y a des décisions importantes à prendre.
— Ce
n’est pas la peine de me le rappeler, Hasan, dit Everard avec lassitude. Si le
livre n’avait pas été volé, je serais retourné en Acre il y a des années. Je
sais qu’on a besoin de moi là-bas et que nous devons recruter pour remplacer
ceux qui sont tombés, mais c’est pour le bien de mon sergent que je ne lui ai
rien dit jusqu’ici. Quand un homme entre dans le Cercle, il ne peut plus jamais
vivre complètement dans ce monde. Il se sent toujours à part.
— Peut-être,
mais n’est-ce pas plutôt que tu as tellement l’habitude de garder nos secrets
que tu crains de les divulguer? Prends garde qu’ils ne dépérissent pas faute de
sang neuf.
Hasan
rabattit la capuche sur sa tête.
— Tu
as été échaudé par le grand maître Armand. Je comprends cela, frère. Mais il
est temps d’oublier le passé et de se tourner vers l’avenir. Notre Cercle ne
pourra atteindre ses objectifs que s’il y a des hommes pour y veiller. Si nous
n’accueillons pas de nouveaux membres, l’Anima Templi mourra avec cette
génération.
Le
soleil était presque tombé lorsque Will acheva la traduction. Il avait été
enfermé dans le dortoir toute la journée et sa main était pleine de crampes et
de courbatures. Il reposa sa plume et rassembla les deux liasses de parchemins,
dont l’une était couverte d’une écriture soignée et l’autre, de sa propre main,
remplie de lignes tortueuses. Puis il quitta le dortoir.
Will
travaillait sur ce traité en langue arabe depuis des semaines. C’était une
tache laborieuse à laquelle il avait consacré une partie de ses nuits, à la
lumière d’une simple bougie, le bruit de la plume semblant étrangement déplacé
au milieu des ronflements de ses camarades. Aujourd’hui, à cause de sa
précipitation, l’encre avait bavé sur les dernières pages et les lignes étaient
un peu de guingois. Il avait envisagé de décorer le manuscrit avec l’un de ces
cadres compliqués qu’affectionnait Everard, mais après avoir vu Simon hier, un
sentiment d’urgence l’avait envahi. Achever le traité lui fournissait une bonne
raison d’aller voir le prêtre.
Will
quitta les quartiers des sergents. Le ciel était d’un rouge sanglant et l’air
était chargé d’humidité. En approchant de la cour principale, il vit une ombre
grise marcher en direction du donjon. Will ralentit le pas et suivit Hasan des
yeux. Celui-ci s’engagea à vive allure dans le passage qui contournait le
donjon et menait à l’entrée de la commanderie. Quelques instants plus tard, il
était hors de vue. Will fronça les sourcils et continua son chemin. Il
atteignit bientôt les quartiers des chevaliers. Il allait en pousser la porte
quand celle-ci s’ouvrit devant lui. Un chevalier sortit et faillit le heurter.
C’était Garin de Lyons.
— William
! s’exclama Garin en reculant de quelques pas, surpris. «
Il
ne dit rien de plus. Tous deux s’étudièrent un instant en silence.
Garin
faisait plus vieux que ses dix-neuf ans. Il était beau garçon, désormais. Sa
barbe était d’un blond plus foncé que ses cheveux, plus dorés que jamais. Will
vit sa propre image réfléchie dans les yeux bleus de Garin : la tunique noire
sale et chiffonnée, les bottes abîmées, les cheveux qui lui
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