Le livre du cercle
faisaient
partie des heureuses élues. Elles y assisteraient cachées derrière un lourd
rideau dissimulant l’entrée des domestiques, sur le côté de la Grande Salle.
— De
quoi ai-je l’air ? demanda Elwen en ajustant son bonnet.
— Tu
es aussi belle qu’une colombe.
— Une
colombe? s’étonna Elwen en faisant la grimace.
— Désolée,
dit Maria en levant les yeux au ciel, j’ai oublié que tu détestes tout ce qui
est mignon et doux.
— Ce
n’est pas que je déteste ce qui est mignon, rectifia Elwen. Mais je préférerais
qu’on me compare à... disons, un corbeau, ou un hibou, quelque chose de plus...
— Viril
? tenta Maria en penchant la tête.
Elwen
lui lança un regard de reproche.
— Courageux,
plutôt.
— Je
plaisantais, fit Maria en riant.
Elle
se redressa en s’appuyant sur les coudes.
— Tu
ressembles à une de ces femmes dans les romans que tu Iis. Belle, courageuse,
absolument rien d’une colombe.
Elwen
sourit tout en se dirigeant vers la porte.
— On
se verra tout à l’heure.
— Embrasse
ton amoureux pour moi, entendit-elle Maria crier.
A
peine sortie de la chambre, Elwen croisa un cuisinier chargé d’un panier de
légumes et deux gardes du palais en livrée écarlate. Elle les salua, prit
l’entrée des domestiques et déboucha sur l’allée pavée qui entourait les murs
du palais. Elle se divisait en deux chemins : l’un menant vers les rues
principales, l’autre vers la Seine. Elle prit le deuxième en se demandant
pourquoi Will ne l’avait pas prévenue de sa visite. Elle espérait qu’il avait
finalement repris ses esprits et qu’il était prêt à admettre qu’il l’aimait. Au
bout du chemin, elle passa sous une arche et arriva sur la berge. Une rangée de
chênes bordait le fleuve. Boueuse, la rive était tapissée d’un manteau de
feuilles rousses que le vent avait fait tomber des arbres ces derniers jours.
Elwen s’arrêta. Au pied d’un des chênes, il y avait un vieil homme habillé en
noir qui regardait l’eau couler d’un air contemplatif. Transie de froid, Elwen
se frictionna les épaules tout en cherchant Will du regard. Mais il n’était pas
là.
— Elwen.
La
voix enrouée et faible qui l’avait interpellée était celle du vieillard. Il
s’approchait d’elle. En reconnaissant l’homme, elle sentit son cœur s’emballer.
C’était le maître de Will, Everard de Troyes.
Les Sept Étoiles,
Paris,
27 octobre 1266
après J.-C.
Adela
souleva avec d’immenses précautions la reliure en cuir toute craquelée de son
herbier, trouva rapidement la page qu’elle cherchait et son index courut sur la
liste des ingrédients. Dans l’âtre, le feu était presque éteint, mais quelque
chose devait bloquer la cheminée car la fumée revenait dans la pièce, de sorte
que celle-ci semblait plongée dans un brouillard gris et malsain. Un peu de
lumière filtrait par un interstice entre la fenêtre et les tissus censés la
calfeutrer. De la rue provenait un concert de bruits divers : charrettes,
chevaux, hommes se criant les uns sur les autres, aboiements de chien, cris de
bébé. Adela sentit Garin bouger dans son dos mais elle resta concentrée sur son
ouvrage.
— Reviens
dans le lit, murmura-t-il en se pressant contre elle et en caressant ses seins
ronds et son ventre.
Adela
lui attrapa les mains.
— Je
dois finir des potions pour le marché de demain, ou je n’aurai rien à vendre.
Par-dessus
son épaule, le regard de Garin plongea dans l’herbier. La page à laquelle il
était ouvert décrivait comment faire tomber les dents cariées en les frottant
avec une grenouille, mais aussi comment inciter un bébé à accepter le sein de
sa mère en l’enduisant de miel.
— Pourquoi
fais-tu ça ? demanda-t-il, agacé.
— Quoi
donc ? répondit-elle d’une voix absente, tout en levant les yeux vers ses
étagères remplies de bocaux d’herbes.
— Tes
remèdes.
Il
pencha la tête pour l’embrasser dans le cou et enfouit son visage dans ses
cheveux.
— Je
ne te paye pas assez ?
— Il
faut croire que non, répliqua-t-elle en se dégageant.
Elle
alla vers une des étagères et s’empara de deux grandes bouteilles en argile.
Puis elle s’aperçut de l’air renfrogné de Garin.
— Entre
ce que mes filles me rapportent et ce que je gagne, nous avons juste ce qu’il
faut pour manger. Regarde où je vis. Tu vois bien dans quel état est la maison.
Si je ne peux pas payer des réparations, bientôt je n’aurai
Weitere Kostenlose Bücher