Le livre du cercle
Baybars croisa
son regard et lui fit un signe de tête.
Omar
quitta le groupe et gravit les marches menant au trône.
— Seigneur?
— Qu’on
en finisse avec les festivités.
— Ne
pourrions-nous pas attendre encore un peu ? suggéra Omar. Les hommes ont besoin
de...
— Maintenant,
Omar.
— Oui,
seigneur.
Les
généraux et les commandants de régiment firent silence en entendant un
domestique sonner la cloche dorée, ce qui signalait le début de la réunion. Les
musiciens arrêtèrent de jouer et les danseuses s’éclipsèrent en un clin d’œil.
Tous les yeux se tournèrent vers Baybars, qui s’était levé du trône.
— J’espère
que vous avez apprécié cette soirée.
Tous
applaudirent poliment cette entrée en matière.
— Nous
en aurons beaucoup d’autres comme celle-ci dans l’année qui vient.
Cette
fois, les applaudissements furent plus nourris.
— Car
nous aurons des victoires encore plus belles à célébrer, reprit-il en faisant
un signe à Kalawun. Ces dernières semaines, j’ai évoqué avec certains d’entre
vous les prochaines étapes de notre campagne. En conséquence, j’ai décidé de
notre nouvel objectif.
Il
fit une pause pour observer les visages attentifs tournés vers lui.
— Nous
allons prendre la ville d’Antioche.
Il y
eut des murmures de surprise, mais aussi d’inquiétude.
— Seigneur,
intervint l’un des généraux, un fat toujours prêt à prendre la parole en
premier. Antioche est la ville la plus fortifiée de Syrie, il faudrait un
assaut massif pour en venir à bout.
— L’étendue
de ces fortifications en fait aussi l’une des plus dures à défendre, répondit
Baybars. J’ai étudié les plans de la ville dont nous disposons. Je pense qu’une
petite force pourrait prendre la ville en moins d’une semaine. Trois régiments
au plus.
— Quand
pensez-vous mettre ce plan à exécution, seigneur ? demanda prudemment un autre
général.
— Les
moissons sont terminées. Les troupes pourraient partir avec des provisions
suffisantes d’ici la fin de la semaine. Les prédictions de Khadir sont
favorables sur cette période.
Quelques-uns
des généraux jetèrent un regard empreint de doute sur le devin, qui rongeait un
os, assis sous une table.
Les
visages inexpressifs de tous ces hommes eurent le don d’agacer Baybars.
— Ne
vous ai-je pas promis des victoires ?
— Personne
ne doute de votre capacité à nous y mener, seigneur, dit Kalawun d’une voix
puissante pour étouffer les murmures naissants, mais une bonne partie des
hommes revient à peine de Cilicie. Peut-être pourrions-nous nous concentrer cet
hiver sur des citadelles militaires moins puissantes, avant de s’attaquer à une
cible comme, Antioche ?
Baybars
jeta à Kalawun un regard noir, puis il se rassit sur le trône en scrutant le
reste de l’assemblée. La plupart des généraux choisirent de baisser les yeux.
— Vous
ne comprenez pas ce que je vous propose ? lança-t-il d’une voix tranchante,
sans réplique. Alors, laissez-moi vous l’expliquer. Si nous soumettons
Antioche, ce n’est pas simplement une ville que perdront les chrétiens, c’est
toute la principauté.
Il
resta silencieux quelques secondes, le temps qu’ils intègrent ses propos.
— Sans
Antioche, les quelques colonies et forteresses éparpillées dont les Francs
disposent encore dans la région ne seront que des îlots perdus dans une mer que
nous contrôlerons entièrement. Ils pourront à peine les défendre. Je doute même
qu’ils combattent.
— C’est
vrai, admit l’un des généraux, ce serait un coup très dur pour les Francs. La
principauté d’Antioche est le premier État qu’ils ont établi sur notre
territoire.
— Et
c’est la ville la plus riche après Acre, renchérit un autre.
— C’est
aussi une ville sainte, leur rappela Baybars. Le comté d’Édesse a disparu. Si
nous prenons Antioche, les Francs n’auront plus que deux États : le comté de
Tripoli et le royaume de Jérusalem. Ils ont déjà perdu beaucoup des villes et
des forteresses de ces deux États. En temps voulu, nous les repousserons sur
les mers par lesquelles ils sont arrivés.
Certains
des généraux s’étaient animés à l’évocation des trésors à piller, mais Baybars
ne ressentait toujours pas l’enthousiasme qu’il recherchait. À la fin du
conseil, il avait néanmoins validé leur accord, même de mauvais gré, et désigné
les trois régiments qui attaqueraient. Une fois la réunion
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