Le livre du cercle
achevée, il quitta
la salle du trône en évitant les secrétaires porteurs de divers papiers à
signer, ainsi qu’Omar, malgré l’insistance de celui-ci.
Vêtu
d’une robe et d’un turban noirs, Baybars quitta la citadelle par une petite
sortie latérale et s’enfonça dans la ville. La tension accumulée dans son corps
se dissipait à mesure qu’il marchait. L’air lui était un baume apaisant. Au
bout d’un moment, il entra dans une rue poussiéreuse bordée de maisons en
brique. A son extrémité se trouvait une maison blanchie à la chaux, plus large
et plus haute que les autres. A travers une fenêtre lui parvint la lumière
d’une bougie et le rire d’un enfant. Silhouette indistincte se mouvant dans
l’ombre, Baybars fit le tour de la maison. À l’arrière se trouvait une vieille
grange prête à s’effondrer. Elle n’avait pas de propriétaire et personne ne voulait
en assumer les réparations. La moitié du toit était tombée et le sol était
jonché de planches et de chevrons. Baybars se demandait souvent pourquoi
personne ne récupérait tout ce bois comme combustible. Chaque fois qu’il venait
ici, il s’attendait plus ou moins à ce que la grange ait disparu. Il prit une
fleur d’hibiscus dans le buisson qui poussait près de l’entrée et pénétra dans
cet endroit que personne, ni ses femmes ni ses généraux, pas même Omar et
Kalawun, ne connaissait. Dans l’obscurité, il se mit à genoux, porta la fleur à
ses lèvres, et inspira son odeur délicate en essayant de se souvenir de l’odeur
de ses cheveux. À la lumière des étoiles, les pétales roses des fleurs
d’hibiscus s’illuminèrent.
Chapitre 30
Le Temple, Paris
2 novembre 1266 après
J.-C.
Will
regardait l’araignée agrandir la toile qu’elle avait commencé à construire dans
une fissure du mur. De temps à autre, un vent frais venait de la fenêtre,
faisant trembler la fine architecture à laquelle elle travaillait. A chaque
bourrasque, l’araignée remontait le long de son fil et se réfugiait quelques
instants dans la fissure avant d’en ressortir et de reprendre son activité.
Will était absorbé par sa perpétuelle besogne. Vers le haut, vers le bas, de
gauche à droite. Tout avait l’air si simple. A la différence de la lettre posée
sur le rebord de la fenêtre, qu’il avait juste entamée.
En
commençant à rédiger les premières lignes pour sa mère, Will était encore dans
un tel état d’hébétude que cela avait été relativement facile. Mais à mesure
qu’il avançait lui étaient revenues des images de ses parents. Des souvenirs si
insignifiants en apparence qu’il pensait les avoir oubliés avaient refait
surface, et ils avaient fini par le submerger entièrement. La plupart d’entre
eux dataient d’avant la mort de Mary. L’un, en particulier, semblait doué d’une
vie propre : une image de sa mère assise sur le bord de la table dans la
cuisine du domaine, lèvres pincées. Elle se rendait dans le jardin pour y
cueillir des herbes afin de préparer le dîner et elle marchait sur une guêpe.
Assis sur un tabouret, son père prenait doucement son petit pied tout blanc
entre ses mains et Will le regardait retirer le dard, le visage concentré.
Ensuite, James posait ses lèvres sur la piqûre et en suçait le poison. Heureuse,
Isabel enroulait ses bras autour de son cou et sa chevelure rousse se répandait
sur ses épaules.
—
Qu’est-ce que je deviendrais sans toi ? l’entendait encore susurrer Will.
Ce
souvenir avait été abruptement remplacé par l’image de la tête tranchée de son
père au bout d’une pique, les yeux dévorés par les rapaces, la bouche remplie
par les vers, et la plume s’était brisée entre ses doigts. Mais il ne s’était
pas préoccupé d’aller en chercher une autre. La lettre était restée en l’état,
inachevée, agitée occasionnellement par le vent.
Après
avoir quitté la cour, Will s’était rendu tout droit dans le dortoir désert où
il s’était assis sur le rebord de la fenêtre, genoux remontés contre la
poitrine, tentant désespérément de reprendre sa respiration. Il avait laissé
passer plusieurs minutes avant d’aller prendre une plume et un parchemin dans
le coffre près de sa paillasse. Puis il avait une fois de plus tiré son
tabouret et s’était installé à la table qu’il connaissait si bien depuis six
ans, depuis les funérailles d’Owein.
L’araignée
redescendit et commença à tisser une
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