Le livre du cercle
persuader les commandants de se rendre, ça pourrait se
terminer rapidement.
Il
s’assit sur une barrique. Sa garde venait de s’achever et il était épuisé.
Dehors, l’aube naissait à peine. Une lumière pâle filtrait par
l’entrebâillement de la porte, mais il savait que la pièce circulaire et sans
fenêtre resterait sombre toute la journée.
— Ça
m’étonnerait qu’il y parvienne, ajouta-t-il en bâillant.
À
deux reprises, le connétable Mansel était venu aux portes de la ville, mais
chaque fois la garnison avait refusé de se rendre. Hier, les hommes sur les
remparts avaient attentivement regardé l’armée mamelouke se déployer autour de
la ville, certains bataillons se postant au nord près de la rivière, d’autres
au sud sur les pentes des montagnes. L’un des régiments avait installé ses
engins de siège juste en face des deux tours occupées par la compagnie de
Lambert.
Simon
jeta l’orange sur la table.
— Je
ne parle pas de la bataille, répondit-il abruptement. Je parle de toi et moi.
Will
le regarda d’un air interrogatif.
— Qu’est-ce
que tu veux dire ?
— Rien,
marmonna Simon. Fais comme si je n’avais rien dit.
— Non,
dit Will en s’approchant de lui. Si tu as quelque chose à dire, dis-le.
Simon
baissa les yeux.
— Non.
Ce n’est rien.
— Je
sais très bien de quoi tu parles, s’énerva Will, tu ne m’as pas parlé depuis
des jours. Chaque fois que je viens vers toi, tu trouves une excuse pour
m’éviter. Tu me blâmes toujours, n’est-ce pas ? D’après toi, c’est à cause de
moi si nous sommes ici ?
— Arrête,
gémit Simon, je n’ai pas envie de me battre.
— Je
ne t’ai jamais demandé de venir, Simon.
— Non,
j’ai été affecté, tu te souviens ?
— Pas
à Antioche, en Outremer. Quand nous étions à Orléans, je t’ai dit que j’avais
pris ma décision, mais que rien ne t’obligeait à venir.
— Tu
avais décidé de poursuivre Nicolas et de trouver le livre d’Everard, répondit
Simon en secouant vigoureusement la tête. C’est ça que tu avais décidé, pas de
faire la guerre!
— Eh
bien, je me retrouve au beau milieu d’une guerre, et toi aussi. Ces hommes ont
tué mon père. Peut-être même que celui qui l’a décapité se trouve ici.
— Tu
es devenu si froid, dit Simon d’une voix soudainement calme. On ne parle plus,
on ne rit plus comme avant.
— Je
ne suis pas exactement d’humeur à rire.
— Tu
ris avec Robert et les autres ! J’ai l’impression de me retrouver tout seul. Tu
ne sais pas à quel point c’est effrayant de savoir que les Mamelouks sont juste
là et que tu ne peux pas te battre contre eux. Tu ne sais pas ce que c’est
d’être incapable de défendre les gens... les gens qu’on aime.
— Pourquoi
m’éviter si tu te sens si seul ?
Simon
détourna le regard un instant, puis il le reporta sur Will.
— Je
voudrais que les choses redeviennent comme avant, dit-il en lançant un sourire
timide à son ami. Comme quand tu m’apprenais à me battre à l’épée, quand nous
étions à Paris.
— Je
ne peux pas revenir en arrière.
— Pourquoi
?
— Parce
que j’ai perdu beaucoup de choses entre-temps.
— Qu’est-ce
que tu as perdu? demanda doucement Simon.
— J’avais
mon père à l’époque, ou du moins j’espérais le revoir, et j’avais Elwen. Mon
cœur n’était pas rempli de haine. Je ne haïssais pas un homme qui avait été mon
meilleur ami avant, et je ne haïssais pas des hommes que je n’ai jamais
rencontrés. Je ne savais rien de la guerre.
Les
épaules de Will s’étaient affaissées pendant qu’il prononçait ces mots.
— Je
ne savais rien de tout cela, conclut-il en levant les yeux vers Simon. J’avais
de l’espoir.
— Tu
peux encore avoir de l’espoir, répondit Simon en venant vers lui.
— De
l’espoir en quoi ? Je suis un mauvais frère et un mauvais fils. Je ne peux pas
revenir en arrière, redevenir celui que j’étais avant. Il ne reste plus rien de
moi.
— Et
qu’est-ce que tu comptes faire ? Rester ici, combattre et mourir ?
Will
n’eut pas le temps de répondre. Un long appel plaintif avait suivi la question
de Simon. D’autres se mêlèrent bientôt au premier et un son déchirant leur
vrilla les oreilles.
— Qu’est-ce
qui se passe ? demanda Simon en blêmissant.
— Je
ne sais pas.
Will
se précipita vers les escaliers en entendant courir et crier au-dessus, sur les
remparts.
— Les
trompettes des gardes
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