Le livre du cercle
Évangiles.
Au milieu du feu et de la tuerie, ils se livrèrent au viol et à la torture.
Dans la cathédrale Saint-Pierre, ils ouvrirent les tombes des patriarches et
souillèrent les sépultures. Sur le sol, au milieu des os qui s’effritaient ou
que les soldats réduisaient en poussière d’un coup de talon, s’éparpillaient de
lourds anneaux en or, des bijoux. Un archidiacre abrité dans les catacombes fut
envoyé au tapis d’une gifle parce qu’il voulait empêcher les Mamelouks
d’approcher la tombe suivante. Il s’agrippa à la jambe d’un soldat en demandant
qu’on ne profane pas la dépouille de son père. Les soldats rirent en sortant le
cadavre pourri de sa tombe et le jetèrent à l’autre bout de la pièce, puis l’un
d’entre eux entreprit de battre, l’archidiacre à mort avec ce qui restait du
crâne de son père.
Au
centre de la ville agonisante, Baybars avait investi une grande villa pour en
faire ses quartiers. Alors qu’il se penchait sur la fontaine de la cour
intérieure, au milieu des cadavres que ses hommes empilaient à même le sol, un
général s’approcha. Son bras droit était courbatu d’avoir tant manié l’épée et
il ressentait une douleur à la cuisse, qu’un Templier lui avait entaillée.
L’air était empli de fumée, il avait la gorge desséchée.
Le
général attendit qu’il eût fini de se laver avant de prendre la parole.
— Les
chrétiens de la citadelle veulent se rendre, seigneur.
— Dis-leur
que nous acceptons. Ils doivent déposer les armes et nous laisser entrer.
Le
général s’inclina.
— Est-ce
que nous leur laissons la liberté, seigneur ?
— Non,
répondit Baybars en mettant ses mains en coupe pour boire à la fontaine.
Capturez tous les survivants. Demain, les hommes pourront choisir ceux qui les
intéressent pour en faire des esclaves et nous vendrons les autres.
Son
pied avait buté sur quelque chose et il baissa les yeux. C’était une petite
poupée en tissu. Baybars se pencha et la ramassa en se demandant si elle
pourrait plaire à Baraka.
— Et
le butin ? demanda-t-il au général.
— Nous
en avons tellement qu’il faudra le faire sortir par chariots entiers.
Baybars
retourna la poupée dans ses mains gigantesques. C’était sans doute un jouet de
fille, supposa-t-il. En même temps que cette pensée le traversait, il aperçut
le corps d’une enfant au milieu des cadavres entassés. Ses cheveux noirs
étaient poisseux de sang. Elle avait l’air un peu plus jeune que son fils.
Baybars s’aperçut soudain que le général le fixait avec circonspection.
— Vous
disiez ?
— Je
disais simplement, seigneur, qu’il y a tellement de richesses que nous aurons
presque du mal à tout emporter. Mais je suis certain que nous y arriverons.
— Bien,
dit Baybars et il sembla au général qu’il se réveillait soudain. Demain, nous distribuerons
aux hommes leur part, en même temps que les esclaves.
Le
général s’inclina respectueusement et partit au moment où Khadir arrivait en se
précipitant. La robe grise du devin était tachée de sang.
— Seigneur,
dit-il en plongeant dans la poussière et en posant la main sur le genou de
Baybars. Je veux un esclave.
Baybars
prit le devin par le menton et lui releva la tête.
— Eh
bien, dit-il en désignant la ville en flamme, où est cette menace que tu
prédisais ? On dirait que tu avais tort.
Les
yeux troubles de Khadir brillèrent malgré le peu de lumière qui passait à
travers les nuages de fumée.
— L’avenir
ne se laisse pas facilement deviner, seigneur, dit-il d’une voix étrangement
solennelle.
Baybars
garda le silence un instant, puis il lui jeta la poupée.
— Tiens,
voilà ton esclave.
Khadir
bondit sur le jouet comme un chat l’aurait fait avec une souris. Puis il
s’assit en la berçant dans ses mains. Il poussait de petits couinements en la
portant à son visage et en la reniflant.
Baybars
fit signe à l’un des Bahrites qui se tenait près de la porte d’entrée
principale de la villa.
— Amène-moi
un secrétaire et fais venir Mansel. Le connétable livrera un message pour nous.
Je pense que le prince Bohémond sera intéressé de savoir quel sort nous avons
fait subir à sa ville.
Alors
que le guerrier allait disparaître dans la villa, Baybars le rappela.
— Et
brûlez-moi ces corps avant que les mouches ne viennent, ordonna-t-il en
désignant d’un geste les monceaux de cadavres.
Chapitre 40
Le Temple, Acre
15 juin
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