Le livre du cercle
1268 après
J.-C.
Dans
la cour de l’écurie, Simon était en train de remplir d’eau fraîche les auges
des chevaux quand il aperçut Will. Le palefrenier posa son seau et s’essuya les
mains sur sa tunique. Son cœur battait à tout rompre, il aurait voulu se faufiler
dans l’écurie et y rester jusqu’à ce que Will fût parti. Mais ce n’était pas
possible aujourd’hui.
Will
se retourna en entendant Simon qui l’appelait. Il sourit et leva la main pour
le saluer, mais avant cela Simon aperçut sur son visage une trace fugitive
d’agacement. Il eut l’impression qu’on lui plantait un couteau dans le ventre.
Cette sensation lui était familière; il la ressentait chaque fois qu’il voyait
Will depuis qu’ils étaient enfants au Nouveau Temple, mais elle n’était plus
aussi agréable aujourd’hui car elle était mêlée de peur.
— Qu’est-ce
qu’il y a ? demanda Will tandis que Simon traversait la cour dans sa direction.
— Comment
vas-tu ? interrogea Simon en continuant à sourire. Je ne t’ai pas vu ces
derniers jours. Depuis que nous sommes revenus, en fait.
— Bien.
Will
regarda le soleil couchant à l’horizon. La journée qui venait de s’écouler,
comme celles qui l’avaient précédée, avait été une vraie fournaise, l’air
semblait presque immobile. L’odeur âcre de fumier et de foin qui se dégageait
des écuries était irrespirable.
— Tu
voulais quelque chose ?
Son
ton n’était pas inamical mais la manière formelle dont il s’était exprimé mit
Simon mal à l’aise.
— Everard
est passé tout à l’heure, il te cherchait. Il m’a demandé de t’envoyer vers lui
si je te croisais.
— Très
bien, fit Will en se tournant pour partir.
— Il
a dit que c’était important, ajouta Simon dans son dos, d’une voix désespérée.
— Je
suis sûr que ça peut attendre quelques heures.
Simon
se pinça les lèvres.
— Pourquoi
? Où vas-tu ? C’est bientôt les vêpres.
— J’ai
des choses à faire.
— Je
peux t’aider ?
— Non.
Simon
regarda son ami s’éloigner.
Cela
faisait un certain temps que les choses n’allaient pas très bien entre eux,
mais leur relation s’était encore détériorée depuis Antioche. Il pensait savoir
pourquoi, mais Robert l’avait assuré qu’il n’avait rien dit.
Ils
avaient tous été affectés par la bataille et par le trajet qui avait suivi.
Mais alors que la plupart des hommes ayant fui Antioche se sentaient de plus en
plus soulagés à mesure qu’ils approchaient d’Acre, Will s’était renfermé.
Décimée, leur compagnie s’était dirigée vers le sud à travers les plaines
rocailleuses. Le jour, ils voyaient derrière eux le ciel chargé de fumée, puis
le crépuscule tombait sur eux comme un voile épais. Plusieurs nuits, au milieu
des gémissements des blessés et des murmures de leurs camarades qui les
réconfortaient, Simon avait entendu Will parler en dormant. Il aurait juré
l’avoir entendu prononcer le nom d’Elwen dans un soupir.
Elwen.
Ce
prénom était une pierre attachée à son cou. Elwen, deux syllabes qui
contenaient tout le poids de sa culpabilité, de sa peur, de son dépit.
Il
se pencha pour ramasser le seau, puis se redressa brusquement.
— Tu
sais ce qui te reste à faire, marmonna-t-il pour lui-même. Alors fais-le, qu’on
en finisse une fois pour toutes !
Il
demanda à l’un des sergents de terminer son travail à sa place, entra un moment
dans les bâtiments administratifs, puis il chercha Robert. Celui-ci était dans
ses quartiers, il se lavait les mains pour les vêpres. En voyant la porte
s’ouvrir sur Simon, qui tenait à la main une plume et un parchemin, il leva les
sourcils.
— Que
se passe-t-il ?
— As-tu
parlé à Will ? demanda le palefrenier en s’approchant de lui et en vérifiant
qu’il n’y avait personne d’autre dans la chambre.
— Je
l’ai vu tout à l’heure, dit Robert en fermant la porte.
— Non,
fit Simon en se tournant vers lui. Je veux dire à propos de...
Il
baissa la tête, puis se força à la relever. Ça ne servait plus à rien de faire
semblant maintenant ; il avait avoué ce qu’il dissimulait depuis des années. Il
espérait simplement que sa confession, faite en un moment où il s’attendait à
mourir, ne se retournerait pas contre lui.
— A
propos de ce que je t’ai dit à Antioche.
— Oh
! dit Robert, mal à l’aise. Je t’ai promis de ne pas le faire.
— Il
est distant avec moi.
— Ce
n’est pas
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