Le livre du cercle

histoires.
    — Une
coupe ou un calice, c’est ça ?
    — C’est
ce qui est écrit. Mais quel est le rapport avec...
    — Si
l’on s’en tient aux premières versions de l’histoire, ce que tu dis est vrai.
Mais par la suite, le Graal a été représenté sous la forme d’une épée, d’un
livre, d’une pierre, et même d’un enfant. Dans mon livre, il apparaît sous
trois formes différentes : une croix en or, un chandelier en argent et un
croissant en plomb. A ton avis, quelle est sa forme authentique ?
    Will
secoua la tête.
    — Je
ne crois pas en l’existence du Graal. Je pense que c’est un symbole, pas un
objet.
    — Mais
si l’histoire nous raconte la quête de Perceval, qu’est-ce au juste qu’il
cherche sinon un objet ?
    Will
grogna.
    — Le
salut ! Ce que Perceval cherche, c’est le salut. Le Graal, l’objet de sa quête,
n’est pas quelque chose qu’il peut tenir dans ses mains. On ne peut pas
l’acheter ou le vendre, de même qu’on ne le trouvera pas en regardant autour de
soi, mais seulement en ouvrant son propre cœur. Il n’existe que là.
    Everard
posa la main sur sa poitrine pour appuyer ce qu’il disait.
    — En
notre for intérieur. Ceux qui voient le Graal comme une épée croient qu’on ne
trouve le salut que par la guerre. Ceux qui le voient comme un livre croient
que la sagesse est le terme de leur quête.
    Will
n’avait jamais vu le prêtre aussi passionné, ses pupilles étaient dilatées et
ses joues d’habitude si pâles avaient rosi.
    — A
la fin du rituel d’initiation, le postulant qui joue le rôle de Perceval est
guidé par l’un des frères du Cercle vers un chaudron rempli d’huile bouillante,
symbolisé dans l’histoire par un lac en feu. A ce moment-là, on lui donne trois
trésors : les trois Graals. On lui explique que la croix contient l’âme de la
Chrétienté, le croissant l’esprit de l’Islam, et le chandelier, la Menorah,
l’essence du Judaïsme. Son frère lui demande alors de jeter les trois trésors
dans le chaudron pour qu’ils se mélangent et n’en forment plus qu’un. Ainsi,
pour que Perceval trouve son salut, ou, dans le cas du postulant, pour que son
initiation soit complète, il doit accomplir un rituel de réconciliation de ces
trois croyances. Et en réalité, c’est ce que notre Ordre doit faire.
    — Mon
Dieu !
    Will
avait le menton qui tombait tant il était stupéfait.
    — Comment
est-il possible que ce soit là votre but ? Vous êtes prêtre ! Comment
pouvez-vous, comment aucun chrétien pourrait-il approuver tout cela ? Oubliez
les hérésies de ce livre, c’est un sacrilège !
    — Tu
me déçois fortement, répondit Everard sur un ton de reproche. Je pensais que
toi, plus que les autres, tu comprenais que nous ne sommes pas si différents
des juifs et des musulmans. Tu as lu assez de leurs textes, après tout.
    — Je
sais que nos peuples ont des points communs, Everard, mais ce que vous proposez
viole tout ce qui fonde notre société! Et pas seulement la nôtre, mais aussi la
leur. Pensez-vous honnêtement que les juifs ou les musulmans sont intéressés
par la réconciliation? Ni eux ni nous ne tolérerions cette initiative. De toute
façon, est-ce que les choses iraient mieux si les juifs et les musulmans
voyaient le Christ comme le Messie mais en niant sa divinité ? J’imagine que
Baybars s’amuserait s’il savait ce que vous proposez. C’est un fanatique.
    — C’est
vrai, concéda Everard, mais le roi Louis aussi.
    Will
faillit éclater de rire.
    — Louis
? Le plus pieux des rois qui aient jamais régné ?
    Everard
pinça les lèvres.
    — Pour
nous, oui, il est pieux. Aucun doute que pour les musulmans, Baybars est un
dévot et Louis un barbare fanatique. Cette haine réciproque ne cessera que
quand l’une des parties prendra assez de recul pour dire cette vérité au reste
du monde. Nos trois religions sont inextricablement liées par la foi, la
tradition et leur lieu de naissance. Nous sommes de la même famille, chacun
avec sa propre identité et sa propre personnalité, mais nous venons de la même
matrice et nous avons grandi dans le même berceau.
    Everard
écarta les bras.
    — Nous
sommes comme des frères se disputant l’affection de leur père.
    Sa
voix s’adoucit.
    — Cette
conception n’est pas si étrange, William. Tu n’as qu’à marcher dans les rues
d’Acre pour voir que nous pouvons vivre ensemble sans trop de problèmes quand
on nous en donne l’opportunité. L’Anima