Le livre du cercle
répondit Will en arabe.
— Oui,
gloire au Seigneur, dit l’homme en gloussant. Will Campbell, je suppose ?
Will
acquiesça et tendit la main. L’homme le regarda un instant avec perplexité,
puis il sembla comprendre ce que signifiait le geste. Il saisit la main de Will
et la secoua vigoureusement. Sa poigne était si forte qu’elle lui fit presque
mal.
— Puis-je
vous offrir quelque chose à boire ? proposa Will sans se troubler.
— De
l’eau, dit l’homme en s’asseyant.
Il
chassa la guêpe d’un brusque revers de main.
Will
fit un signe à la serveuse assise à l’une des tables qui s’éventait le visage
avec une grande feuille d’arbre desséchée.
— De
l’eau, lui répéta-t-il quand elle se fut tramée jusqu’à eux.
Le
visage de la serveuse se rembrunit.
— Je
vais devoir vous faire payer.
— Très
bien.
— Vous
ne pouvez pas rester assis ici à boire gratuitement de l’eau toute la journée,
dit-elle en maugréant.
— J’ai
dit que je paierais, lui répondit sèchement Will.
— Ce
n’est pas la peine de le prendre sur ce ton, répliqua-t-elle en partant vers la
cuisine.
L’étranger
se pencha sur la table.
— Un
homme avisé vous déconseillerait de parler rudement à quelqu’un qui doit vous
apporter à boire ou à manger.
Puis
il se rejeta en arrière.
— Je
vais m’assurer de ne pas prendre le broc qui vous est destiné. Je suis sûr
qu’elle aura craché dedans.
— Je
vais tenter ma chance.
Du
regard, Will jaugea l’homme. Il n’avait rien de particulier. Avec son
embonpoint et ses grosses mains, il ressemblait à un homme exerçant une
activité manuelle, physique - un maréchal-ferrant, un tanneur ou peut-être un
petit marchand, comme les trafiquants des mines de fer de Beyrouth. Il ne
ressemblait pas du tout à ce que Will avait imaginé. Le marchand pisan qui
avait organisé leur rencontre ne lui avait pas dit à quoi s’attendre.
La
serveuse revint avec l’eau. Elle posa un broc devant l’homme et l’autre devant
Will, mais en renversa un peu à cause de sa brusquerie. Will lui tendit négligemment
quelques pièces. Pendant qu’elle s’éloignait, il scruta l’eau. L’homme
gloussait.
— On
peut passer aux choses sérieuses ? dit Will avec irritation tout en mettant le
broc de côté.
— Bien
sûr, bien sûr. Vous avez l’argent ?
Will
montra à l’homme la pochette attachée à la ceinture qu’il portait par-dessus
une simple chemise en lin.
L’homme
se pencha pour regarder, puis il se rassit et but l’eau d’une traite.
— Bon,
alors discutons de ce que mon Ordre peut faire pour vous.
Le Temple, Acre,
4 juin 1271
L’affaire
conclue, Will retourna à la commanderie. L’ambiance dans la forteresse, comme
dans le reste de la ville, était sombre, presque aussi sombre que l’automne
précédent quand ils avaient appris la mort du roi Louis. Celui-ci avait suivi
le conseil de son frère Charles d’Anjou et s’était rendu à Tunis, mais après la
prise victorieuse de Carthage, la peste avait ravagé son armée. Louis avait
fini par succomber à la fièvre et sa grande croisade, la huitième depuis que le
pape Urbain II avait lancé un appel aux armes deux cents ans plus tôt environ,
avait fini avant même de commencer. Son corps avait été ramené en France pour
être enterré à la basilique de Saint-Denis.
Aujourd’hui,
la morosité des citoyens d’Acre était provoquée par l’annonce de la chute du
Krak des Chevaliers. Considérée comme la citadelle la plus inexpugnable de
l’Orient chrétien, le Krak était la plus grande des places fortes tenues par
les Hospitaliers. La garnison avait capitulé après cinq semaines d’intense
combat. Avec sa destruction, la dernière possession des Francs dans
l’arrière-pays syrien venait d’être balayée. En trois ans, Baybars les avait
repoussés progressivement mais inexorablement, et ils ne contrôlaient plus
désormais que quelques bastions et villes le long de la côte.
En
traversant le Temple, Will étudia le visage des hommes. Il y lisait
l’épuisement et la peur. Il y avait eu un temps où le Temple possédait près de
quarante domaines majeurs en Outremer. Quand Baybars était arrivé au pouvoir,
ce nombre s’était réduit à vingt-deux. Maintenant, il n’en restait plus que
dix.
Durant
les dernières semaines, des doutes à propos de ce qu’il préparait depuis si
longtemps avaient commencé à tourmenter Will, mais voir la défaite
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