Le livre du cercle
réconciliation semblait
ridicule. C’était même probablement une erreur. Quand il pensait à Baybars, la
seule chose qui venait à son esprit, c’était le crâne en décomposition de son
père planté au bout d’une pique, parmi une centaine d’autres au moins, autour
des fortifications de Safed. Comment pourrait-on faire la paix ?
Everard
ne semblait pas s’apercevoir des pensées qui l’assaillaient. Il se leva.
— Je
dois parler brièvement au sénéchal. Il me reste une chose à faire pour conclure
notre accord.
Le
prêtre boitilla jusqu’à la porte.
— Ensuite,
nous pourrons boire un verre ensemble.
Garin
était dans son dortoir, debout devant la table où était posée une bassine
d’eau. Dans son dos, les chevaliers avec lesquels il partageait sa chambre
ronflaient sur leur paillasse. Il plongea un doigt dans l’eau et observa à la
lumière des bougies les cercles concentriques que ce geste engendrait. Les
ondulations l’apaisaient mais elles ne nettoieraient pas le sang sur ses mains.
Il n’avait aucune idée du temps qui s’était écoulé depuis qu’il était rentré
dans sa chambre. Il avait l’impression que cela ne faisait que quelques
minutes, mais c’était probablement depuis plus longtemps. Soudain, alors qu’il
mettait ses mains en coupe et se penchait pour s’asperger le visage, la porte
s’ouvrit. Garin se redressa en pivotant sur lui-même et certains de ses
camarades de chambrée se retournèrent dans leur sommeil. Trois hommes entrèrent
dans la pièce.
— Garin
de Lyons ? demanda l’un d’entre eux.
Garin
hocha la tête. Il sentait l’eau goutter peu à peu de ses doigts.
— Sur
ordre du sénéchal, vous êtes accusé du crime de désertion.
Désormais
réveillés, les chevaliers se redressèrent sur les paillasses.
— Désertion
? murmura Garin.
— Il
a été porté à l’attention du Sénéchal que vous avez déserté le poste auquel
vous étiez affecté à la commanderie de Paris et que vous êtes venu ici sans la
permission du visiteur du royaume de France.
Garin
voulut se défendre, mais les mots refusèrent de franchir ses lèvres. Il ne
faisait aucun doute pour lui que cette affaire ne refaisait surface qu’en
raison de son rôle dans la tentative de vol de Rook. Mais que pouvait-il dire ?
L’accusation en elle-même était vraie.
— Nous
vous emmenons immédiatement dans les geôles du sous-sol de la commanderie. Vous
ne serez pas autorisé à faire appel de cette décision avant d’avoir purgé au
moins cinq ans.
Le
chevalier s’avança et Garin s’aperçut qu’il tenait une paire de menottes dans
ses mains. Les deux autres avaient tiré leur épée et se tenaient prêts à
intervenir au cas où il aurait essayé de résister, mais ils n’avaient aucune
raison de s’inquiéter.
Garin
regarda placidement le chevalier lui installer les fers autour des poignets. Il
avait l’impression que c’était à quelqu’un d’autre que tout cela arrivait. On
le tira vers la porte et il trébucha. Son gardien l’empêcha de tomber en le
retenant par le bras.
— Merci,
dit Garin.
Chapitre 42
Le quartier pisan,
Acre
4 juin 1271 après
J.-C.
Will
tourna la tête en voyant la porte de la taverne s’ouvrir. Entra un homme en
robe bleu ciel criarde. L’homme croisa un court instant son regard, sans
marquer aucun signe de reconnaissance, puis il se dirigea vers une table où
était réuni un groupe de marchands. Tirant un tabouret, l’homme dit quelque
chose qui fit rire les autres et se servit du vin. Will plongea le nez dans sa
propre coupe. Des rayons de lumière obliques passaient entre les contrevents et
dessinaient de grandes traînées blanches sur sa table. Une guêpe bourdonnait
autour de lui. Il faisait chaud et Will en avait assez d’attendre. Depuis
quelques jours, il était envahi par l’impatience. L’humidité de l’atmosphère
n’arrangeant rien, il dormait mal et, tout récemment, il s’était rendu compte
qu’il ne pouvait jamais complètement remplir d’air ses poumons, aussi
profondément qu’il inspirât.
La
porte s’ouvrit de nouveau quelques minutes plus tard et un homme trapu au teint
olivâtre, portant une culotte brune et une pèlerine de bure, entra dans la taverne.
Il jeta un regard circulaire, aperçut Will assis tout seul et s’approcha de
lui.
— Belle
journée, remarqua-t-il.
Sa
voix était marquée par un accent indéfinissable.
— Dieu
nous comble de ses bienfaits,
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