Le livre du cercle
insidieusement Garin.
Will
serra les dents et détourna le regard.
— Ce
n’est pas de moi dont on parle.
— Mon
oncle essaie de m’apprendre à devenir un commandeur. Il me punit parce que j’ai
échoué, c’est de ma faute.
— Tu
as changé. Plus rien ne t’amuse, on dirait.
— J’ai
presque quatorze ans, Will. Comme toi. Si Owein n’était pas aussi coulant avec
toi, tu aurais été exclu il y a des années vu toutes les règles que tu enfreins
rien que pour t’amuser. Il est temps que tu te comportes en homme.
— Si
être un homme signifie perdre sa bonne humeur, non merci. Et la plupart des
règles n’ont aucun intérêt. On nous explique même comment couper le fromage !
Ce n’est pas ça, être chevalier.
— Parfois,
je me demande si tu as vraiment envie de le devenir, fit Garin en reniflant.
— Ne
change pas de sujet, le coupa Will, ennuyé par la tournure que prenait la
conversation. Ton oncle ne devrait pas te traiter ainsi. C’est beaucoup plus
que de simples punitions.
Garin
eut un rire sans joie.
— Tu
crois qu’il est le premier à me battre ? Ma mère me frappait avec un bâton
quand j’avais fait quelque chose qui lui déplaisait. Quant à mon tuteur...
c’était encore autre chose. Lui, quand je me trompais dans ma leçon, il
préférait la ceinture.
Les
yeux de Garin étaient brouillés par les larmes.
— Tu
ne sais pas ce que c’est de porter mon nom. Tu ne comprends rien, Will. Tu ne
sais rien.
Will
tenta de calmer son ami.
— Écoute,
Garin, il y a peut-être un moyen de l’arrêter. Je pense qu’il prépare quelque
chose. Premièrement, il a prêté son cheval à un homme qui...
— Tu
ne sauras jamais pourquoi il me traite comme ça, l’interrompit Garin sans
l’écouter. Peut-être que si Owein te punissait davantage, tu serais un meilleur
sergent.
— Quoi
? s’exclama Will, hébété.
— Tu
t’en sors toujours, juste parce que tu es bon à l’épée. Mais à force de ne rien
prendre au sérieux, tu ne seras jamais commandeur ! Alors que moi, oui !
Les
mots de Garin restèrent comme en suspension dans l’air un instant.
— Je
ne voulais pas dire ça, ajouta-t-il en soupirant. C’est ce que pense mon oncle.
Il pense que tu es une mauvaise fréquentation et que c’est à cause de toi que
je ne réponds pas à ses attentes.
— Ah.
Will
se passa la langue sur les lèvres et resta un instant immobile. Puis il plongea
la main dans sa poche. Il avait pensé donner la médaille à son père, pour lui
prouver qu’il était digne de sa confiance. Mais il la sortit et la tendit à
Garin.
— Tiens.
Celui-ci
se mit debout et fixa la médaille.
— Je
n’en veux pas, fit-il froidement.
— C’est
un cadeau.
Tout
en disant cela, Will prit la main de son ami et y déposa la médaille.
Garin
ne dit rien, il caressa du bout des doigts les deux chevaliers en cuivre.
— Merci,
murmura-t-il.
Il
sembla vouloir ajouter quelque chose mais, changeant d’idée, il partit du quai.
Resté
seul, Will s’allongea en prenant appui sur les coudes et regarda une cogue
marchande remonter le courant. À cet endroit, il y avait toujours beaucoup de
monde sur la Tamise. Les bateaux apportaient des épices, du verre, du tissu et
du vin de Bruges, d’Anvers, de Venise et même d’Acre.
Will
prit une pierre sur le quai et la jeta dans la rivière. Il regarda les cercles
concentriques s’éloigner du point d’impact. Garin avait tort. Il n’enfreignait
pas les règles pour s’amuser. Les corvées sans fin, les prières, les repas pris
dans le silence lui laissaient trop de temps pour réfléchir. Il n’y avait qu’au
combat qu’il s’arrêtait de penser, et quand il faisait quelque chose
d’interdit, l’excitation faisait s’évanouir les souvenirs.
Comme
le soir tombait, Will se leva et reprit le chemin de ses quartiers. Il dépassa
l’armurerie et se dirigeait vers la chapelle quand il aperçut une silhouette en
cape bleu foncé assise sur le muret entourant le cimetière. C’était Elwen.
L’air absente, elle regardait à travers le verger, ses longs cheveux flottant
au vent.
— Elwen.
Même
dans le demi-jour, il pouvait voir qu’elle avait pleuré.
— Qu’est-ce
que tu veux, Will Campbell ? dit-elle avec agressivité.
Il
haussa les épaules et reprit son chemin.
— Attends
! lui lança-t-elle.
Il
s’arrêta.
— Reste.
J’ai besoin de compagnie.
Will
s’assit sur le muret, à côté d’elle.
— Qu’est-ce
qui
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