Le livre du cercle
t’arrive ? demanda-t-il en voyant son air abattu.
— Je
dois partir.
Elle
lui expliqua ce qu’Owein avait décidé.
— Je
suis désolé, dit-il gauchement quand elle eut terminé.
Elle
se hérissa d’un coup.
— Pourquoi
es-tu désolé ? s’écria-t-elle. C’est pas toi qu’on va marier à un vieillard
dégoûtant !
— Je
voulais dire, pour ton tuteur. Je suis désolé qu’il soit mort.
Elwen
s’essuya les yeux avec sa manche.
— Moi
aussi, mais...
Son
ton s’était adouci.
— ...
je ne veux pas aller à Bath.
Elle
eut un rire amer.
— Je
ne verrai jamais la Terre sainte, n’est-ce pas ?
Will
était surpris.
— Tu
veux y aller en pèlerinage ?
— Pas
en pèlerinage, répondit-elle en le regardant droit dans les yeux. Il y avait un
vieil homme dans le village où j’ai grandi. Il était allé en Terre sainte. Il
disait qu’il y a là-bas des villes avec des châteaux et des tours dorées, et
aussi que la mer est tellement bleue qu’elle fait mal aux yeux. Il disait qu’il
y a des endroits où il ne pleut jamais. Il pleut toujours à Powys.
Au
fil de son discours, ses yeux s’étaient mis à briller.
— Je
veux voir ça. Je veux tout voir. Si j’étais restée à Powys, ma mère aurait fini
par me marier à un fermier. J’aurais élevé des cochons et des enfants et je
n’aurais jamais rien vu d’autre que les champs. Moi, je veux voyager, voir
plein d’endroits, et non vieillir et être malheureuse et pauvre comme tous ceux
que j’ai connus. Plutôt mourir, conclut-elle farouchement.
Will
voulut l’interrompre mais n’en eut pas le temps.
— Et
ne me dis pas qu’il n’y a que les hommes qui voyagent. Plein de femmes sont
allées en Terre sainte. Des petites filles, aussi. Mon tuteur m’a parlé de la
croisade des enfants.
— Ça
ne compte pas. Ils ne sont allés que jusqu’à Marseille. Là-bas, ils ont été
vendus comme esclaves. Mais ce n’est pas ce que j’allais dire. Je te comprends.
Si je le pouvais, je partirais demain. Tu peux me croire, ajouta-t-il avec
ferveur.
— Pour
faire la guerre, répondit-elle froidement.
— Non.
— Pourquoi
t’entraînes-tu à combattre, alors ?
Will
soupira.
— Quand
j’irai en Terre sainte, ce sera pour faire la guerre, concéda-t-il. Mais ce
n’est pas pour ça que je veux y aller.
— Et
pourquoi donc ?
— Je
veux revoir mon père, dit-il calmement.
— J’avais
raison, alors, il te manque?
Will
se leva.
— Peut-être
que tu verras la Terre sainte. Owein t’a dit que tu n’irais à Bath que pour un
an.
— Et
tu crois que mon mari me laissera y aller? Non, soupira-t-elle. Je devrai
m’occuper des bébés, il faut bien les nourrir. C’est ce que font les femmes,
non ?
— Pas
toujours, répondit Will d’une voix incertaine.
— Ah
bon ? Ce n’est pas ce que ta mère faisait ?
— Je
dis juste qu’on ne peut pas savoir ce qui va se passer.
Il
regarda passer un groupe de sergents. Certains d’entre eux regardaient Elwen
avec curiosité.
— Il
faut que j’y aille.
— Ça
m’a fait plaisir de te revoir.
Will
commença à partir, puis il se retourna.
— Un
jour, Owein m’a dit que les hommes sont maîtres de leur destinée. Peut-être que
c’est pareil pour les femmes...
— Oui,
répondit Elwen en souriant faiblement, peut-être.
Chapitre 10
Honfleur, Normandie
22 octobre 1260 après
J.-C.
L’Endurance
fendait les flots, laissant derrière lui un sillon d’écume. Le ciel était d’un
bleu profond, sans l’ombre d’un nuage, et un vent généreux gonflait les voiles
triangulaires. Les voix des hommes retentissaient, hurlant des ordres.
À la
tête du navire se trouvait un capitaine de l’Ordre des Templiers et cinq
chevaliers officiers, le reste de l’équipage étant composé de sergents et de
matelots. Appuyé au bastingage, perdu dans sa contemplation, Will regardait
l’eau défiler à toute vitesse. Il avait déjà navigué sur la Tamise, mais ce
n’était rien en comparaison de l’immensité bleue sur laquelle ils voguaient. Il
avait l’impression de voler. A côté de lui, un sergent au visage livide
vomissait dans la mer en poussant des râles.
Will
se détourna pour ne pas assister à ses haut-le-cœur et ses yeux se fixèrent sur
un homme assis au bord de la dunette. Enveloppé dans sa cape grise, il
balançait ses jambes en suivant les mouvements du bateau. Malgré la capuche,
son visage n’était pas vraiment dissimulé. Chez lui, le noir
Weitere Kostenlose Bücher