Le livre du cercle
dominait tout :
les yeux, qui ressemblaient à deux morceaux de charbon, les cheveux et la barbe
de corbeau, ainsi que la peau d’acajou. Will n’était pas le seul à l’épier. Un
peu plus tôt, il avait entendu deux sergents plus âgés discuter à voix basse de
l’étranger.
— Il
vient peut-être de Gênes, avait murmuré l’un, ou de Pise. Mais je ne sais pas
ce qu’il fait ici, avec nous. J’ai entendu un chevalier dire que c’était un
camarade de Jacques.
— Non,
avait répondu l’autre sergent en jetant un regard discret à l’homme en gris. Je
pense que c’est un Sarrasin.
Le
premier sergent s’était signé et avait agrippé la poignée de son épée.
L’homme
ayant remarqué qu’il l’observait, Will fit semblant d’étudier quelque chose dans
l’eau. Mais il avait cru le voir sourire à son intention. Lorsqu’il risqua un
nouveau coup d’œil, l’homme s’était replongé dans ses pensées. Était-ce
vraiment un Sarrasin? Will n’y croyait pas : un ennemi de Dieu à bord d’un
bateau du Temple ? Cependant, il repensa à son accent étranger et à la lettre
qu’il avait découverte dans la cellule.
Will
chercha Garin, il aurait voulu pouvoir lui faire part de ses préoccupations.
Celui-ci était assis, seul, sur un banc à la poupe. Son visage avait légèrement
désenflé, mais l’œil droit ne s’ouvrait toujours pas complètement. Will se leva
et récupéra sous le banc le sac qui contenait toutes ses affaires : une tunique
et des culottes de rechange, ainsi que le fauchon que son père lui avait donné.
Ces derniers jours, il avait essayé de parler avec Garin, mais son ami le
traitait avec une indifférence blessante. Il avait donc décidé d’attendre que
Garin revienne vers lui.
Tout
en étirant ses jambes, Will regarda la cabine du capitaine en dessous de la
dunette. La porte était ouverte et il pouvait voir, à l’intérieur, les dix
chevaliers du Temple en train de boire et de manger. Un coffre noir portant les
dorures du blason royal était posé à même le sol, au pied du tabouret d’Owein.
C’est probablement là qu’étaient cachés les joyaux de la Couronne. La reine
Éléonore et sa suite se trouvaient dans la cabine attenante.
Lorsqu’ils
avaient franchi l’estuaire de la Tamise, la reine était apparue sur le pont
avec deux de ses dames de compagnie. Ses cheveux bruns étaient arrangés avec
art, quelques mèches flottant sur son visage aux traits délicats, et elle
rayonnait dans sa robe brodée de fleurs de lys dorées, emblème du royaume de
France. Éléonore était la sœur de Marguerite, épouse du roi Louis IX. Alors
qu’ils quittaient l’Angleterre, elle avait regardé avec anxiété la ligne
d’horizon avant de rentrer dans sa cabine. De temps à autre, la mélodie
étouffée d’une harpe se faisait entendre à travers les tentures écarlates dont
on avait garni les sabords.
Penchant
la tête de côté, Will ferma les yeux.
C’étaient
les cris des mouettes qui l’avaient réveillé quelques instants plus tôt. La
terre était maintenant en vue. Mais le spectacle était moins grandiose que
prévu : Will s’attendait à ce que le royaume de France propose autre chose que
des plages de galets semblables à celles d’Angleterre. Le bateau contourna une
presqu’île et s’engagea dans l’embouchure d’un fleuve. En entendant les
conversations de l’équipage, Will comprit qu’ils arrivaient à Honfleur.
Bientôt,
il put voir à tribord un petit port niché dans une crique. Derrière la rade,
des maisons s’étendaient en demi-cercle autour d’une place occupée par la
foule. Des drapeaux claquant au vent dominaient la scène. Quand ils
s’approchèrent, il constata qu’il y avait une fête sur la place. Il entendait
des éclats de rire, de la musique et des mots dans une langue incompréhensible.
Le bateau accosta et il empoigna son sac.
Jacques
et l’homme en gris parlaient tranquillement près de la dunette. Will s’approcha
d’eux, il aurait voulu surprendre leur conversation, mais les deux hommes se
turent car Owein s’adressait à quelqu’un par-dessus bord.
— Bonjour,
frère !
Le
salut était destiné à un petit homme bedonnant qui accourait sur le quai. Vêtu
du manteau noir des prêtres du Temple, il arborait la tonsure et avait le
visage couvert d’une barbe châtaine broussailleuse.
— Pax
tecum, fit-il d’une voix essoufflée.
Owein
descendit la passerelle pour le rejoindre.
— Et
cutn
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