Le livre du cercle
l’autre.
— Le
balai de l’écurie était cassé, dit Will. On voulait en emprunter un.
— Et
vous avez besoin d’être deux pour ça ?
Will
le fixa en silence.
Peter
les regardait de travers. Cela faisait trente ans qu’il servait la commanderie,
il admettait mal que deux adolescents insultent son intelligence. Son regard
alla de la réserve à Will, puis il céda, visiblement agacé.
— Prenez
votre balai et allez-vous-en !
Il
retourna s’asseoir sur le banc et empoigna son couteau.
— Mais
si je revois l’un d’entre vous ici, je vous dénonce au maître.
Will
se dépêcha de traverser la cuisine et de prendre un balai près de l’âtre. Quand
il sortit, la lumière du soleil l’éblouit un moment. Il se tourna vers Simon.
— Tiens.
— Comme
c’est gentil, dit Simon en attrapant le balai. J’espère que ta curiosité est
satisfaite. Si on nous avait découverts...
Il
avala sa salive.
— La
prochaine fois que tu voudras que quelqu’un monte la garde pour toi, je serai
en Terre sainte. Je serai plus en sécurité là-bas.
Il
secoua la tête comme s’il allait continuer à accabler Will de reproche. Mais à
la place, il adressa à son ami un large sourire qui révéla ses dents abîmées:
un coup de sabot lui en avait cassé plusieurs l’année précédente.
— On
se voit avant les nones ? demanda-t-il.
Will
fit la grimace en pensant à l’office de l’après-midi. Il n’avait même pas
commencé ses corvées et la matinée tirait déjà à sa fin. C’était comme s’il n’y
avait pas assez d’heures dans une journée pour faire tout ce qu’on attendait de
lui. Entre les repas, l’entraînement quotidien à l’épée et toutes les menues
besognes qu’il devait accomplir pour son maître, il lui restait peu de temps,
sans parler des sept offices. La journée de Will, comme celles de tous les
sergents, commençait avant l’aube par les laudes, été comme hiver, et la
chapelle à cette heure était toujours froide et lugubre. Ensuite, il allait
voir le cheval de son maître et on lui assignait des tâches pour la journée. À
six heures, il y avait l’office de prime, après quoi Will et ses frères
sergents brisaient le jeûne en écoutant la lecture des Écritures. Puis ils
retournaient à la chapelle pour les offices de tierce et sexte. Dans
l’après-midi, entre le déjeuner, les corvées et l’entraînement, ils allaient
aux nones. Et au crépuscule, il y avait encore les vêpres, suivies du souper,
puis la journée se terminait avec les complies. Certains Templiers éprouvaient
sans doute de la fierté à être considérés comme des moines guerriers, mais Will
n’en pouvait plus de passer davantage de temps à la chapelle que dans son lit.
Il allait s’en plaindre à Simon, qui connaissait déjà ses récriminations, quand
il entendit quelqu’un crier son nom.
Un
petit garçon aux cheveux roux courait dans leur direction en dispersant les
poules occupées à picorer dans le champ.
— Will,
j’ai un message de maître Owein. Il veut te voir dans sa cellule immédiatement.
— Il
t’a dit pourquoi ?
— Non,
répondit le garçon. Mais il n’avait pas l’air content.
— Tu
crois qu’il sait ce que nous avons fait? murmura Simon à son oreille.
— Non,
à moins qu’il soit capable de voir à travers les murs.
Will
lui lança un sourire et commença à courir. Il traversa le champ, prit un
passage qui coupait par le potager et déboucha dans une grande cour entourée de
bâtiments en pierre grise. Derrière les immeubles se dressait la chapelle, une
grande structure pleine de grâce avec une nef ronde imitant l’église du
Saint-Sépulcre à Jérusalem. Will se rendit jusqu’au quartier des chevaliers,
près de la chapelle, en évitant les groupes de sergents, les écuyers guidant
les chevaux et les domestiques. Le Nouveau Temple était la plus grande
commanderie du royaume d’Angleterre. En plus des immenses quartiers des
domestiques et des chevaliers, le complexe possédait un terrain d’entraînement,
une armurerie, des écuries et son propre débarcadère sur la Tamise. En moyenne,
il y avait toujours une centaine de chevaliers qui y résidaient, ainsi que
plusieurs centaines de sergents et domestiques.
Ayant
atteint les portes du bâtiment de deux étages situé près du cloître, Will y
pénétra et grimpa l’escalier quatre à quatre. Là-haut, la respiration coupée,
il frappa à une lourde porte en chêne. Quand celle-ci
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