Le livre du cercle
ce garçon, frère.
Un
grand chevalier aux cheveux grisonnants, avec
un
bandeau en cuir sur l’œil gauche, apparut derrière le panneau en bois, d’où il
avait assisté à la discussion. Il tenait une poignée de rouleaux dans les bras.
— Porter
l’écu d’un chevalier est un grand honneur, et ça l’est encore davantage au
regard des circonstances. Au lieu de le punir, tu le récompenses.
Owein
étudia le parchemin devant lui.
— Peut-être
cette responsabilité aura-t-elle le don de tempérer ses ardeurs.
— Ou
elle le conduira à des abus encore plus graves. Je crains que ton affection
pour ce garçon ne t’aveugle. Tu n’es pas son père.
Owein
fronça les sourcils. Il voulut répondre, mais le chevalier aux cheveux
grisonnants n’avait pas terminé.
— Il
faut éduquer les garçons de son âge comme des chiens, reprit-il. Ils réagissent
mieux aux coups de fouet qu’aux longs discours.
— Je
ne suis pas d’accord.
Le
chevalier haussa légèrement les épaules et déposa ses parchemins sur la table.
— C’est
à toi de décider, évidemment. Je me contente de te donner mon opinion.
— J’ai
entendu ton point de vue, Jacques, répondit Owein d’une voix à la fois douce et
ferme.
Il
désigna les parchemins.
— Tu
les as tous lus ?
— Oui.
Jacques
gagna la fenêtre, d’où il examina le domaine du Temple. Les feuilles des arbres
commençaient à brunir.
— Qu’en
dit maître de Pairaud ? Pense-t-il que Henri accédera à nos demandes ?
— Certainement.
Comme je m’en occupe depuis plusieurs mois, maître de Pairaud m’a confié, dans
une certaine mesure, la conduite des pourparlers. Je lui ai fait part de mes
idées et nous avons convenu que nous devrions compiler non seulement les
rapports de la trésorerie sur ce que nous avons prêté à la famille royale cette
année, mais aussi les dépenses précises auxquelles, selon nous, ces sommes ont
été affectées. J’aurais besoin de ton aide pour régler les détails.
— Compte
sur moi.
Owein
hocha la tête en signe de reconnaissance.
— Tout
cela va renforcer notre plaidoyer.
— Aussi
convaincant soit-il, il ne plaira pas au roi.
— Non,
c’est sûr. Mais si nous prenons nos précautions, Henri n’aura pas d’autre choix
que d’accéder aux demandes du Temple. Et s’il refuse, nous pouvons toujours
adresser une requête au pape pour qu’il l’oblige à donner son accord.
— Soyons
prudents, frère. Le Temple a beau être au-dessus de l’autorité royale, Henri a
les moyens de nous compliquer la vie. Il l’a déjà fait en essayant de
confisquer certains de nos domaines. Et nous avons déjà suffisamment de quoi
nous inquiéter actuellement, sans avoir en plus à nous préoccuper des réactions
mesquines de monarques jaloux.
Il
tira un tabouret et s’assit devant Owein.
— Tu
as parlé au maître ce matin. Est-ce qu’il t’a dit s’il avait reçu des rapports
récents d’Outremer ?
— Nous
en reparlerons à la prochaine réunion du chapitre, mais non, il n’a rien reçu
depuis que nous avons appris l’attaque des Mongols sur Alep, Damas et Bagdad,
et le mouvement des Mamelouks pour arrêter la horde. Et, à mon sens, c’est un
encouragement plus que suffisant pour confronter rapidement le roi à ses
dettes. Nous allons avoir besoin de tout l’argent que nous pourrons récupérer.
Si les Mamelouks affrontent les Mongols èt gagnent, leur armée marchera vers
nos territoires.
Du
bout des doigts, Owein mit de l’ordre dans le tas de parchemins qui se
trouvaient sur la table. Puis il secoua la tête.
— Je
ne peux imaginer de plus grand péril.
Chapitre 3
Ayn Djalut (le Puits
de Goliath),
Royaume de Jérusalem
3 septembre 1260
après J.-C.
Dans
le camp mamelouk régnait le tumulte. Les cris exaltés et les chants célébrant
la victoire se mêlaient aux injonctions hurlées par les officiers qui tentaient
de maintenir un semblant d’ordre dans ce qui, au premier abord, ressemblait au
chaos.
Atteignant
le pavillon du sultan, Baybars arrêta son cheval et mit pied à terre. Pendant
qu’il attachait la bête, il observa le défilé en contrebas. Le soleil plongeait
derrière les collines et les ombres s’allongeaient dans la vallée. Il pouvait
entendre l’écho assourdi des haches détruisant les engins de siège mongols pour
fournir les bûchers. Une file de Mamelouks blessés serpentait le long de la
colline : ceux qui pouvaient encore marcher étaient aidés
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