Le livre du cercle

et de myrrhe s’enflamma au contact des braises et un panache de fumée
s’éleva. Les deux chevaliers, restés en arrière jusque-là, s’avancèrent.
    L’un
d’eux sortit l’épée de son fourreau et la pointa en direction du sergent.
    — Si
vous voulez être de ce côté de la mer, vous serez mandé en Outremer. Si vous
voulez manger, vous souffrirez la faim. Si vous souhaitez dormir, on vous fera
veiller. Pouvez-vous accepter ces tourments pour la gloire de Dieu et le salut
de votre âme ?
    — Oui,
frère, répondit solennellement le sergent.
    — Alors
répondez en vérité à ces questions.
    Les
chevaliers reprirent leur place et le prêtre lut un passage du livre.
    — Croyez-vous
en la foi chrétienne, telle qu’elle est révélée par l’Église de Rome? Êtes-vous
le fils d’un chevalier, né d’une union légitime? Avez-vous donné un présent à
un chevalier de cet Ordre pour y être reçu ? Etes-vous sain de corps, atteint
d’aucune maladie ?
    Le
sergent répondit à voix haute et le prêtre inclina la tête. Puis un des clercs
prit le livre et vint se placer devant le sergent, à qui il le brandit.
    — Observe
la Règle du Temple, dit le clerc. Elle a été écrite avec l’aide de saint
Bernard de Clairvaux, béni soit-il, qui a soutenu notre Ordre dès sa fondation
et dont l’esprit continue à vivre en nous. Observe ces lois, telles qu’elles
sont écrites ici, et jure d’y obéir. Jure que tu seras toujours fidèle à
l’Ordre, que tu obéiras sans poser de question. Que tu obéiras aux officiers du
Temple, à commencer par le grand maître, qui nous gouverne avec sagesse depuis
son siège en la ville d’Acre; le visiteur du royaume de France, commandeur des
citadelles de l’Occident ; le maréchal ; le sénéchal ; puis les maîtres de tous
les royaumes où va notre influence. Tu obéiras aux commandeurs en temps de
guerre, et en toute occasion aux maîtres de la commanderie où tu te trouveras.
Tu protégeras les civils avec tes frères d’armes. Jure que tu vivras chastement
et sans rien posséder, excepté ce qui te sera accordé par tes maîtres. Jure
aussi que tu aideras notre cause en Outremer, en Terre sainte, que tu es prêt à
donner ta vie pour défendre nos forteresses et nos territoires au royaume de
Jérusalem. Enfin, jure que tu ne quitteras jamais l’Ordre du Temple, sauf si
les maîtres t’y autorisent, car tu es lié par ce serment et le seras à jamais
aux yeux de Dieu.
    Le
sergent plaça la main sur le livre et jura, après quoi le clerc remonta les
marches et posa le livre sur l’autel. Le prêtre se pencha alors pour saisir une
petite boîte noire et dorée. Il l’ouvrit et en sortit doucement une fiole en
cristal.
    — Ceci
est le sang du Christ, murmura le prêtre. Il y a deux siècles, Hugues de Payns,
fondateur de notre Ordre, nous a rapporté de l’église du Saint-Sépulcre ce
flacon qui en contient trois gouttes. Adore-les car nous t’accueillons.
    La
compagnie se signa tandis que le sergent regardait craintivement la fiole : on
ne lui avait pas parlé de cette partie de la cérémonie.
    — Est-ce
que tu te livres corps et âme ?
    — Je
me livre corps et âme.
    — Alors,
prosterne-toi devant cet autel, ordonna le prêtre, et implore la bénédiction de
Dieu, de la Vierge et de tous les saints.
     
    Le
visage écrasé contre le mur, Will Campbell regarda le sergent s’incliner sur
les dalles, bras écartés, comme la croix sur les manteaux des chevaliers. Le
grattement tenace des souris avait érodé une pierre à la base du mur séparant
la réserve et la salle du chapitre, formant un léger interstice. Will changea
de position. Il était grand pour ses treize ans et ses jambes commençaient à
s’engourdir. En dehors de la lumière ténue qui filtrait par la porte de la
cuisine, la réserve était plongée dans le noir. L’air y était infesté par
l’odeur des crottes de souris et du grain moisi. Les deux gros sacs entre
lesquels il s’était faufilé, en plus de le dissimuler, l’empêchaient de trop
souffrir du contact avec le sol glacial.
    — Tu
en as assez vu ?
    Will
tourna la tête vers le garçon recroquevillé contre un sac, derrière lui.
    — Pourquoi
? Tu veux regarder ?
    — Non,
marmonna le garçon en étirant ses jambes et en faisant la grimace à mesure que
le sang y affluait. Je voudrais qu’on parte.
    Will
secoua la tête.
    — Comment
est-ce possible que tu n’aies pas envie de regarder ? Même le...
    Il
fronça