Le livre du magicien
sucre et tout miel, mais quand elle s’oppose, le courroux du roi ne connaît plus de bornes. Je me demande s’il a déjà décodé le manuscrit et s’il ne dépêche pas ces hommes en Angleterre afin qu’ils y soient tués, assassinés, et que le blâme retombe sur nous.
— C’est absurde ! s’exclama Launge en frappant de sa chope vide comme si c’était une épée.
— Non, non, intervint Corbett en levant la main. Je suis votre raisonnement, William, ajouta-t-il en souriant. Que va-t-il arriver si Philippe a percé le code secret et s’il désire se débarrasser des periti, de ceux qui connaissent aussi ces secrets ? La dernière chose que veut le roi, c’est que l’un de ces professeurs s’empare de ces connaissances et, ayant soif de gloire dans les universités et les écoles d’Europe, rédige un ouvrage. Nous n’avons plus rien à apprendre sur nos docteurs en théologie, nous savons bien qu’ils sont aussi avides de réputation que d’or ; en fait, les deux vont souvent de pair.
Il s’interrompit.
— Soyons sérieux : Philippe cherche à provoquer une crise. Il a lié notre souverain par un traité ; il veut faire d’Édouard le serpent rusé, celui qui rompra la foi jurée. Il n’ignore pas que la devise d’Édouard est « Tenir parole », mais il se rend compte que ce dernier est prêt à remuer ciel et terre pour échapper au traité de Paris. Supposons, à titre d’exemple, qu’il y ait un fâcheux incident pendant le séjour de l’ambassade française en Angleterre. Philippe poussera de grands cris et se tournera vers le pape, qui ligotera notre roi plus étroitement encore par de lourds châtiments et de sombres menaces.
— Mais n’avez-vous pas réfléchi à tout cela avant d’accepter l’ambassade française ? voulut savoir Bolingbroke.
— Bien sûr que si, répondit le magistrat. J’ai étudié de semblables hypothèses avec le roi, sans aller aussi loin dans les détails. Que Dieu m’en soit témoin, Philippe et Édouard font la paire ! Ce sont deux rusés bretteurs qui rôdent l’un autour de l’autre dans le noir en cherchant à prendre l’avantage.
Il eut un petit rire sec.
— Vraiment, messires, n’est-ce pas ridicule – ou, comme on le formulerait dans les collèges d’Oxford, mirabile dictu, merveilleux à dire – que la seule chose qui unisse Édouard d’Angleterre, Philippe de France, Amaury de Craon et moi-même, ce soit la certitude qu’il se produira un événement pendant que Craon se trouve à Corfe ? Mais Dieu seul sait quoi.
— Alors, que proposez-vous donc ? s’enquit Sir Edmund.
— Les Français doivent disposer de chambres absolument sûres.
— Ils ne voudront pas de gardes ; ils n’en veulent jamais, rétorqua le gouverneur. Ils ne cesseront de nous accuser de les espionner et de les traiter en prisonniers.
Corbett frappa sur la table.
— Assurez-vous qu’ils ont bien les clefs de leur logement et qu’ils prennent leurs repas ensemble dans la grand-salle. Quant au château, qu’ils s’y promènent à leur guise.
Il repoussa sa chaire, signifiant ainsi que la réunion était finie.
— Toutefois, s’ils quittent la forteresse, fournissez-leur une escorte.
Sir Edmund se leva, s’inclina et sortit. Bolingbroke s’enquit de nouvelles instructions, mais son maître, d’un signe de tête, lui indiqua qu’il n’y en avait pas. Le clerc s’éloigna donc en expliquant qu’il devait se changer, faire sa toilette et dormir.
— Et maintenant ? questionna Ranulf.
Il se prélassait sur sa chaire et jouait avec le fourreau de son poignard suspendu à son ceinturon. Il le déposa sur la table devant lui et jeta un regard scrutateur au magistrat.
— Vous pensez vraiment qu’il va arriver quelque chose de fâcheux, n’est-ce pas ?
Corbett se dirigea vers l’huis que Bolingbroke avait laissé entrebâillé. La bouffée d’air frais était agréable, mais, en refermant la porte, il vit les premiers flocons de neige.
— Je ne sais à quoi m’attendre, Ranulf. Tu connais Édouard d’Angleterre : il se félicite qu’on l’appelle le « Grand Justinien anglais » et il est avide de savoir. Quand il s’intéresse à quelque chose, ça devient une obsession. Il a lu et relu les ouvrages de Bacon, comme un théologien plongé dans les Évangiles. Il a exigé que j’en fasse autant. J’ai ses copies des oeuvres de frère Roger dans ce coffre.
— Était-ce un magicien ? voulut
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