Le livre du magicien
le petit abri édifié derrière St Jean-en-les-Murs, la chapelle de la forteresse, près de l’entrée de la basse-cour. Puis il observa le ciel, un océan gris fer où un vent froid faisait danser les flocons de neige.
— Acceptez mes excuses, Sir Hugh ; vous n’avez point déjeuné, du moins pas comme il convient.
Il proposa aux prêtres de se joindre à eux, mais le vieux chapelain du château déclara qu’il allait veiller le corps et prier. Ils le suivirent des yeux quand il s’en alla, puis se hâtèrent vers les appartements du gouverneur. La grand-salle était accueillante et réconfortante après le froid mordant et la salle de réunion sinistre et sombre. C’était une longue pièce voûtée aux poutres peintes d’un noir profond et aux murs blancs sur lesquels se détachait une série de peintures représentant des anges musiciens qui jouaient tous d’un instrument différent : luth, harpe, viole, flûtiau, clairon et chalumeau. Le gouverneur, pour détendre l’atmosphère, expliqua que Lady Catherine était fascinée par les anges et ajouta que les tentures et les tapisseries aux couleurs vives célébraient le même thème.
— Nous l’appelons la salle des Anges.
Il montra la pièce d’un geste. Elle était confortable et décorée avec goût. Le plancher de bois dur était ciré et dépourvu de la jonchée qui retenait les odeurs et pouvait empester comme un tas d’ordures. Au fond se trouvait une galerie pour les musiciens et le long des murs s’alignaient de longues tables sur tréteaux en solide noyer, polies jusqu’à briller à la lueur des torches et des chandelles. Au centre, presque en face de la porte principale, on voyait une grande cheminée, un âtre béant et ténébreux protégé par un garde-feu de métal, derrière lequel pétillait un tas de bûches. Sur une estrade, à l’autre bout de la pièce, sous les bannières héraldiques, se dressait la haute table garnie en son milieu d’un beau château d’argent en guise de salière principale. Sir Edmund, tout en leur montrant différents détails de la salle, les conduisit jusqu’à la table et les fit asseoir. Des serviteurs sortirent en hâte des cuisines, derrière l’estrade, et apportèrent des bols fumants de soupe d’orge perlé, suivis d’écuelles d’une délicieuse omelette au veau, de pain beurré et d’un plat de légumes coupés en dés. Sir Edmund versa le vin, un vin blanc pétillant, qui venait tout droit des vignobles du Rhin. Pour qu’ils se réchauffent les doigts, de petits récipients ornementés emplis de charbon parsemé de thym étaient disposés sur la table. Le père Matthew, se déclarant affamé, mangea sans attendre et, lorsqu’il eut fini, accepta une part de grasses côtelettes d’agneau servies avec une sauce à la menthe.
— Jeûnez-vous, mon père ? le taquina Ranulf.
— Je n’ai rien avalé depuis hier. Sir Edmund, dit le prêtre en désignant le gouverneur d’un signe de tête, requiert que je soupe avec lui céans.
Il eut un grand sourire.
— Je l’en remercie par la prière, de bonnes oeuvres et en jeûnant jusqu’au prochain repas.
Corbett attendit que les gloussements de rire se soient apaisés.
— Mon père, vous avez ramené la sixième victime ici.
— Il est vrai ; six en tout. Cinq enterrées dans mon cimetière, cinq messes de requiem, cinq aspersions d’eau bénite, cinq croix, cinq mères et pères à consoler.
— Et vous n’avez aucune idée de la raison de tout cela ?
Le prêtre hocha la tête.
— C’est le premier corps que j’ai trouvé. Les autres ? Eh bien, Sir Edmund vous en parlera. Elle gisait là. Recroquevillée comme un ballot de linge jeté de côté. Mais pourquoi ?
Il semblait parler à son bonnet.
— Ce n’était qu’une pauvre jouvencelle ; elle n’avait rien si ce n’est sa grâce.
— J’ai entendu accuser les hors-la-loi.
— Les hors-la-loi ! intervint le gouverneur. Ne dirait-on pas qu’il s’agit de William Wallace {7} ! Ce ne sont que quelques miséreux, expliqua-t-il à Corbett en se penchant par-dessus la table. Des braconniers, des tire-laine. Oh, ils méritent la corde, mais pourquoi tueraient-ils des jouvencelles ? On a découvert trois des sept victimes dans l’enceinte du château.
— Je croyais qu’il n’y en avait que six ?
— L’une d’entre elles a disparu. Phillipa, la fille de Maîtresse Feyner qui a la charge des lavandières. Il y a environ dix
Weitere Kostenlose Bücher