Le loup des plaines
franchi une trentaine de mètres de plus. Hors d’haleine, ils avaient l’impression
que leurs membres étaient à présent trop lourds pour qu’ils puissent les remuer.
Parvenu à son point le plus haut, le soleil avait entamé sa
descente vers l’ouest. Temüdjin vérifiait sa position chaque fois qu’ils
trouvaient un endroit où faire halte un moment. Si la nuit les surprenait
agrippés à la paroi, ils tomberaient à coup sûr. Plus inquiétante encore était
la masse nuageuse qu’ils apercevaient au loin. Un orage d’été les arracherait
tous au rocher et Temüdjin songeait au danger que couraient ses frères quand
Kachium glissa et faillit les faire basculer tous deux vers leur mort.
— Je te tiens, grogna Temüdjin, la respiration brûlante.
Trouve une autre prise.
Il ne se souvenait pas d’avoir éprouvé une telle fatigue et
le sommet semblait encore incroyablement lointain. Kachium parvint à soulager
le bras de Temüdjin du poids de son corps, remarqua les écorchures sanglantes
que sa botte avait tracées dans la peau nue de son grand frère. Il suivit le
regard de Temüdjin, se raidit en découvrant les nuages. Il était difficile d’estimer
la direction du vent qui s’engouffrait entre les rochers, mais les deux garçons
avaient l’impression qu’il soufflait droit sur eux.
— Allez, on continue. S’il se met à pleuvoir, nous
sommes tous morts.
Temüdjin grogna, poussa son frère vers le haut. Kachium
semblait exténué. On oubliait parfois facilement qu’il était encore un enfant. Temüdjin,
qui éprouvait pour le jeune garçon une affection protectrice et pleine de
fierté, se jura de ne pas le laisser basculer dans le vide.
Le pic sud était encore visible mais, tandis qu’ils
grimpaient, Bekter et Khasar avaient disparu. Temüdjin se demanda s’ils étaient
arrivés au sommet et même s’ils n’étaient pas déjà en train de redescendre, chacun
portant un oisillon sous sa tunique. Bekter deviendrait insupportable s’il
parvenait à rapporter un aigle à la tente de leur père, et cette pensée suffit
à redonner un peu de vigueur aux muscles las de Temüdjin.
Aucun des deux garçons ne comprit d’abord ce qu’étaient ces
sons aigus. Ils n’avaient jamais entendu de cris d’aiglon et le vent, obstiné
compagnon, continuait à siffler par-dessus les rochers. Les nuages avaient
grossi jusqu’à emplir le ciel et Temüdjin se souciait davantage à présent de
trouver un refuge. L’idée de redescendre alors que la pluie rendrait chaque prise
glissante menaçait de lui faire perdre tout courage. Même Kachium n’en aurait
pas été capable, il en était sûr. L’un d’eux au moins tomberait.
La menace des nuages sombres cessa soudain de retenir toute
l’attention des deux garçons lorsqu’ils se hissèrent au niveau d’une corniche
jonchée de brindilles et de plumes. Temüdjin sentit une odeur de viande pourrie
avant même de découvrir le nid. Il comprit enfin que les sifflements
provenaient de deux aiglons qui fixaient les intrus d’un regard féroce.
Leurs parents avaient dû s’accoupler tôt dans la saison car
les oisillons ne semblaient ni fragiles ni décharnés. Ils avaient gardé leur
plumage clair, avec quelques touches seulement du brun doré qui les porterait
au-dessus des montagnes en quête d’une proie. Leurs ailes étaient courtaudes et
laides mais les deux garçons trouvaient qu’ils n’avaient jamais rien vu d’aussi
beau. Au bout des pattes jaunes, les serres paraissaient trop grosses, griffes
noires déjà capables de déchirer la chair.
Agrippé au bord de la corniche, Kachium, émerveillé, ne
bougeait plus. L’un des oiseaux prit son immobilité pour un défi et déploya ses
ailes en une démonstration de courage qui fit sourire le jeune garçon.
— Ce sont de petits khans, dit-il, les yeux étincelants.
Incapable de parler, Temüdjin hocha la tête. Déjà il se demandait
comment redescendre sous l’orage avec les deux oiseaux vivants. Il scruta l’horizon
en songeant avec inquiétude que les nuages ramèneraient peut-être les parents
au nid. À une telle hauteur, un aigle viendrait facilement à bout de deux
garçons tentant de descendre avec sa progéniture.
Kachium grimpa sur la corniche et s’accroupit près de l’aire,
oubliant apparemment la précarité de leur position. Il tendit la main à Temüdjin
mais celui-ci le mit en garde :
— Les nuages sont trop près pour qu’on redescende
maintenant.
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