Le loup des plaines
répondit Kachium avec un haussement d’épaules.
Mais il faudrait de la chance et c’est la seule pierre que j’aie trouvée.
Temüdjin jura à mi-voix. L’aigle avait disparu mais ces
oiseaux étaient des chasseurs expérimentés et il ne se risqua pas hors de son
refuge. Le jeune Mongol poussa un soupir d’abattement : il mourait de faim,
il avait devant lui une descente périlleuse. Kachium et lui méritaient mieux
que de repartir les mains vides.
Il se rappela l’arc de Bekter resté en bas avec Temüge et se
reprocha de ne pas avoir songé à l’emporter. Enfin, Bekter ne l’aurait sans
doute même pas laissé toucher l’arme à double courbure. Son frère aîné se
rengorgeait autant pour cet arc que pour tous les autres attributs du guerrier.
— Prends la pierre, lui dit Kachium, je retourne au nid.
Si l’aigle revient, tu l’assommes.
Temüdjin plissa le front, trouva le plan sensé : il
était adroit au lancer et Kachium était le meilleur grimpeur. Seul problème, ce
serait son frère qui prendrait les aiglons, pas lui, et il ne voulait pas qu’un
autre puisse revendiquer leur capture.
Kachium tourna ses yeux noirs vers son aîné, devina ses
pensées et haussa de nouveau les épaules.
— D’accord. Tu as de quoi les attacher ?
Avec son couteau, Temüdjin découpa des bandes d’étoffe dans
le bas de sa tunique. Le vêtement serait fichu mais cela en valait la peine. Il
entoura une bande autour de chaque main puis sortit la tête de la crevasse, chercha
du regard une ombre mouvante ou un point tournoyant dans le ciel. Le rapace l’avait
regardé dans les yeux, il savait ce que ces envahisseurs essayaient de faire, Temüdjin
en était sûr.
Il sentit un tiraillement dans les muscles de son visage
quand il se glissa hors de l’abri. Une fois de plus, il entendit les cris s’élevant
du nid, les oisillons réclamant désespérément à manger. Peut-être qu’eux aussi
avaient souffert sans la chaleur du corps de leur mère pour les protéger de l’orage.
Temüdjin craignit soudain qu’il ne restât qu’un aiglon, que l’autre eût péri
pendant la nuit. Il regarda derrière lui au cas où l’aigle adulte attaquerait. Non,
pas d’aigle en vue. Il se hissa sur la corniche, ramena ses jambes sous lui et
s’accroupit, comme Kachium la veille.
Le nid se trouvait dans un large trou aux parois raides pour
que les oisillons turbulents ne puissent pas en sortir et tomber avant d’apprendre
à voler. Dès qu’ils aperçurent son visage, les deux aiglons chétifs reculèrent,
agitant leurs ailes et appelant à l’aide. Temüdjin regarda de nouveau derrière
lui et pria rapidement le père ciel de le protéger. Il avança, le genou droit s’enfonçant
dans la paille humide et les plumes. De petits os craquèrent sous son poids, répandant
l’odeur nauséabonde d’une vieille proie.
L’un des aiglons recula encore pour échapper aux doigts de Temüdjin
mais l’autre tenta de le piquer de son bec et lui griffa la main de ses serres.
Elles n’étaient cependant pas assez longues pour faire plus que lui écorcher
légèrement la peau et Temüdjin, ignorant la piqûre, saisit l’oiseau, l’approcha
de son visage et le regarda se tortiller.
— Mon père chassera vingt ans avec toi, murmura-t-il.
Il déroula la bande d’une de ses mains, attacha l’oiseau par
une aile et une patte. Affolé, l’autre aiglon avait presque réussi à sortir du
nid et Temüdjin dut le tirer, piaillant et se débattant, par l’une de ses
serres jaunes. Il remarqua un reflet rouge sur les jeunes plumes dorées.
— Je t’appellerais l’oiseau rouge si tu étais à moi, lui
dit-il en fourrant les deux aigles sous sa tunique.
Ils se tinrent plus tranquilles, même s’il sentit leurs
griffes sur sa peau. Temüdjin se dit que, le temps qu’il redescende, il aurait
la poitrine aussi égratignée que s’il était tombé dans un buisson d’épines.
Soudain, la mère des aiglons apparut, tremblement sombre
au-dessus de sa tête. Elle se déplaçait plus vite qu’il ne l’aurait cru
possible et il n’eut que le temps de lever un bras avant d’entendre Kachium
crier et leur unique pierre heurter avec un bruit sourd le flanc de l’animal, bloquant
son attaque. L’aigle agita ses grandes ailes en tentant de recouvrer son
équilibre. Temüdjin ne put que se recroqueviller pour protéger son visage et
son cou des serres tendues vers lui. Il entendit l’animal glapir près de son
oreille,
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