Le loup des plaines
son
ascension.
Il avait du mal à estimer la hauteur qu’il avait franchie. Temüge
et les chevaux n’étaient que des points minuscules sous lui et ses membres
étaient endoloris par les efforts fournis. Temüdjin parvint à une corniche où, à
l’abri du vent, il put s’arrêter et récupérer. Ne voyant aucun chemin par où
continuer, il tendit le cou par-dessus une plaque de roche. Allait-il rester
coincé alors que les autres trouvaient des voies plus faciles ? Seul
Kachium était meilleur grimpeur que lui et Temüdjin savait qu’il devait prendre
le temps de reposer ses muscles douloureux. De son perchoir, il découvrait la
plaine sur des kilomètres à la ronde et avait l’impression que son regard
portait jusqu’aux tentes de la tribu. Il se demanda si Hoelun avait enfanté. Il
s’était sans doute écoulé de nombreuses heures depuis leur arrivée au mont
Rouge.
— Tu es coincé ? entendit-il au-dessus de lui.
Temüdjin jura en découvrant le visage de Kachium qui le
regardait par-dessus la corniche, un sourire naissant dans les yeux. Temüdjin
se déplaça latéralement jusqu’à ce qu’il avise une prise. Il ne pouvait qu’espérer
en trouver une bonne un peu plus haut. Sous le regard de Kachium, il s’efforça
de maîtriser sa respiration et de garder un visage impassible de guerrier. Il
dut sauter pour atteindre la prise suivante et, un instant, la peur le
submergea. En bas, ce saut ne lui aurait posé aucun problème mais, en bas
également, il n’aurait pas risqué de tomber de si haut. Entendant le vent gémir
entre les rochers escarpés, il n’osait pas penser au vide qu’il avait sous lui.
Les jambes et les bras tremblants, il se hissa plus haut. S’arrêter,
c’était commencer à tomber ; avec un rugissement il parvint à l’endroit où
Kachium, agenouillé, l’attendait tranquillement.
— Ha ! Les khans de la montagne ne sont jamais
coincés bien longtemps ! s’exclama Temüdjin, triomphant.
— Le mont se sépare en deux juste au-dessus de nous, dit
Kachium. Bekter a pris la voie sud pour parvenir en haut du pic.
Impressionné par le calme de son frère, Temüdjin le regarda
s’approcher du bord du rocher rouge assez près pour que le vent agite ses
cheveux nattés.
— Bekter ne sait pas où sont les aigles, s’il y en a, fit
observer Temüdjin.
— Il a pris le chemin facile. Je ne crois pas qu’un
aigle construirait son nid à un endroit aussi aisément accessible.
— Il y a donc une autre voie ? demanda Temüdjin.
En parlant, il gravit une pente faible pour mieux voir le
sommet du mont Rouge. Il y avait bien deux pics, comme Kachium l’avait dit, et Temüdjin
vit Khasar et Bekter sur le pic sud. Même à cette distance, les deux garçons
reconnurent la silhouette puissante de leur aîné qui progressait lentement mais
régulièrement. Le pic nord, qui se dressait au-dessus de Temüdjin et Kachium, était
une aiguille bien plus impressionnante que le rocher qu’ils venaient d’escalader.
Temüdjin serra les poings, sentit la lourdeur de ses bras et
de ses mollets.
— Prêt ? lui demanda Kachium en désignant du
menton la face nord.
Temüdjin pressa brièvement la nuque de son jeune frère si
sérieux. Il remarqua que Kachium avait perdu un ongle de sa main droite et qu’un
filet de sang séché courait le long de son avant-bras, mais l’enfant ne
semblait pas s’en préoccuper.
— Je suis prêt, répondit Temüdjin. Pourquoi m’as-tu
attendu ?
Avec un grognement, Kachium referma la main sur une nouvelle
prise.
— Si tu étais tombé, Bekter serait devenu khan un jour.
— Il ferait peut-être un bon chef, reconnut Temüdjin à
contrecœur.
Il n’y croyait pas vraiment mais il se rappelait le courage
avec lequel Bekter avait lutté contre les féaux de leur père. Il y avait des
aspects de la vie d’adulte qu’il ne comprenait pas bien encore et Bekter, lui, avait
au moins des attitudes de guerrier.
— Il monte comme une pierre, répliqua Kachium avec
dédain. Qui suivrait un homme qui se tient aussi mal en selle ?
Temüdjin sourit et les deux garçons se remirent à grimper.
L’escalade se révéla un peu plus facile à deux. Plus d’une
fois, Temüdjin servit d’appui au pied de Kachium qui gravissait la paroi avec l’agilité
d’une araignée. Il grimpait aussi bien qu’il montait à cheval mais son jeune
corps montrait des signes d’épuisement et Temüdjin remarqua sa pâleur après qu’ils
eurent
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