Le loup des plaines
eut un ricanement qui fit se plisser le front de son
ennemi. Non, finalement, ils ne comprendraient jamais. Un Tatar était assez
bête pour mourir de faim dans son incapacité à choisir quelle mamelle de sa
mère téter. Ils reviendraient, et il fondrait une fois de plus sur eux, exterminant
d’autres rejetons de leur indigne lignée. Cette perspective le réjouit.
Yesugei remarqua que le Tatar qui l’avait défié était
vraiment jeune et songea à son fils en train de naître de l’autre côté des
collines, à l’est. Il se demanda si lui aussi devrait un jour faire face à un
guerrier grisonnant.
— Quel est ton nom ? lui lança Yesugei.
Autour d’eux, le combat avait cessé et déjà ses Mongols
passaient entre les cadavres, prélevant tout ce qui pouvait être utile. Malgré
le grondement du vent, le jeune ennemi entendit la question et répliqua :
— Quel est le tien, verge de yack ?
Yesugei rit de nouveau, mais sa peau exposée au froid
commençait à lui cuire et il était fatigué. Cela faisait près de deux jours qu’il
traquait les pillards sans dormir, ne se nourrissant que d’un peu de lait
caillé durci.
— Peu importe, petit. Approche.
Le guerrier tatar dut voir dans ses yeux une mort certaine
et hocha la tête, résigné.
— Je m’appelle Temüdjin-Uge. Ma mort sera vengée, je
suis le fils d’une puissante famille.
D’une pression des talons, il précipita son cheval contre
Yesugei. Le sabre du khan siffla dans l’air et s’abattit. Le corps du Tatar
tomba à ses pieds et le cheval s’emballa.
— Tu n’es qu’une charogne, mon garçon, dit Yesugei. Comme
tous ceux qui viennent piller mes troupeaux.
Il regarda autour de lui ses guerriers rassemblés. Quarante-sept
hommes avaient quitté leur yourte pour répondre à son appel. La férocité du
raid avait coûté la vie à quatre de leurs compagnons, mais pas un seul des
vingt Tatars ne rentrerait chez lui. Le prix était élevé ; l’hiver
poussait les hommes jusqu’à leurs limites en toutes choses.
— Dépouillez les corps, ordonna Yesugei. Il est trop
tard pour rejoindre la tribu. Nous camperons à l’abri des rochers.
Les objets en métal, très recherchés, seraient troqués pour
remplacer les armes perdues. Exception faite de la cotte de mailles, la récolte
était pauvre, ce qui confirma Yesugei dans l’idée qu’ils n’avaient eu affaire
qu’à une bande de jeunes blancs-becs cherchant à faire leurs preuves. Ils ne s’attendaient
pas à livrer un combat à mort sur une terre dure comme du roc. Yesugei accrocha
la cotte sanglante au pommeau de sa selle lorsqu’on la lui jeta. De bonne
qualité, elle arrêterait au moins un coup de dague. Il se demanda qui le jeune
guerrier avait été pour posséder une chose aussi précieuse et retourna son nom
dans sa tête. Il haussa les épaules : c’était sans importance. Il
échangerait sa part des chevaux contre de l’eau-de-vie et des fourrures quand
les tribus se rencontreraient pour commercer. Malgré le froid dans ses os, la
journée avait été bonne.
La tempête n’avait pas faibli, le lendemain matin, lorsque
Yesugei et ses hommes regagnèrent le camp. Seuls les hommes chevauchant en tête
remuaient légèrement sur leur selle, demeurant vigilants en cas d’attaque
soudaine. Les autres suivaient, emmitouflés dans leurs fourrures et alourdis
par le butin, masses informes à demi gelées enrobées de graisse et de givre.
Les familles avaient bien choisi l’endroit où camper, à l’abri
d’une colline rocheuse escarpée, les yourtes presque invisibles sous la neige. La
seule lumière provenait d’une tache claire derrière les nuages tourbillonnants
et cependant l’un des jeunes garçons au regard perçant postés en sentinelle
repéra les guerriers de retour. Yesugei eut chaud au cœur lorsqu’il entendit
les voix flûtées signalant son arrivée.
Les femmes et les enfants de la tribu devaient à peine s’éveiller,
pensa-t-il. Par un tel temps, ils ne sortaient du sommeil que pour allumer les
poêles en fer. Le vrai lever aurait lieu une heure ou deux plus tard, lorsque
le feu aurait chassé le froid glacial dans les grandes tentes de feutre et d’osier.
Alors que les chevaux approchaient, un cri s’éleva de la
yourte de Hoelun et le cœur de Yesugei battit plus vite. Il avait déjà un fils,
mais la mort était toujours proche pour les petits. Un khan devait avoir autant
d’héritiers que sa tente pouvait en
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