Le Lys Et La Pourpre
l’effet souhaité : ils
découragèrent l’embûche. Il ne se passa rien.
C’est à Fontainebleau qu’eut lieu un événement de grande
conséquence : le duc de Vendôme quitta la Cour et gagna la Bretagne dont
il était le gouverneur. Je n’ai jamais pu éclaircir s’il la quitta après avoir
demandé son congé à Louis ou à son insu. Dans le premier cas, il me paraît
étrange que Louis lui ait accordé la permission de s’en aller, alors qu’il
savait le rôle qu’il avait joué dans le deuxième projet criminel contre le
cardinal. Dans le second cas, il me paraît à peine crédible que Vendôme se soit
quasiment désigné comme l’auteur de ce funeste dessein en prenant la fuite.
Plus étonnant encore me paraît le fait qu’il n’emmenât pas avec lui son cadet
le grand prieur, mais le laissa, pour ainsi dire, en otage à la Cour du roi.
D’après ce que me dit Fogacer qui accompagnait le nonce à Fontainebleau, les
deux Vendôme prononçaient publiquement des paroles fort haineuses à l’égard de
leur demi-frère. Et le duc, en quittant Fontainebleau, avait dit haut et
fort : « Je ne veux plus voir Louis XIII qu’en peinture »,
ce qui était une façon fort peu voilée de souhaiter sa mort.
Il y avait de quoi dégoûter de la chasse le plus acharné
Nemrod. Louis décida de laisser là les renards et marcassins de la forêt de
Fontainebleau et suivi par la Cour, moi-même inclus, regagna Paris. Bien lui en
prit car Monsieur d’Alincourt, arrivé la veille de Lyon dont il était le
gouverneur, lui révéla un nouveau complot : Monsieur nourrissait le
projet, après avoir assassiné Richelieu, de quitter la Cour et de se mettre en
province à la tête d’une rébellion des Grands contre son frère. Ces projets d’assassinat
étaient comme une hydre : quand une tête était coupée, une autre
repoussait.
Louis fit appeler son frère dans les appartements de Marie
de Médicis et là, en présence de Richelieu, lui parla avec les grosses dents et
le pressa de questions. Monsieur, dont la fermeté n’était pas le fort, avoua
tout, en tâchant toutefois d’atténuer sa culpabilité : il ne voulait pas,
à proprement parler, assassiner le cardinal, mais seulement le menacer et
obtenir de lui la libération de d’Ornano. Là-dessus, il signa un engagement par
lequel il promettait à Sa Majesté, « non seulement de l’aimer comme un
frère, son roi et son souverain », mais en outre, il le suppliait
« très humblement de croire qu’il ne lui serait jamais dit, proposé et
suggéré aucun conseil de la part de qui que ce fut », dont il ne donnerait
avis à Sa Majesté, « jusques à ne lui taire point les discours qu’on
tiendrait pour lui donner des ombrages du roi et de ses conseils »…
Pâle et les larmes aux yeux, Gaston signa, avec toutes les
apparences de la sincérité et de la repentance cet engagement qu’il n’avait
aucune intention de respecter. Le texte avait été préparé par Richelieu qui
avait ajouté une note pathétique en parlant de « celui qui punit
éternellement les parjures » et en invoquant, in fine, l’image
auguste de la reine-mère « qui conjurait ses deux fils, au nom de Dieu, et
par les plus tendres affections de la nature de vouloir toujours être
unis ». Je dois dire que ces paroles me parurent bien extraordinaires à
mettre dans la bouche de Marie de Médicis qui, par deux fois, avait pris les
armes contre son fils…
Richelieu lui-même ne se faisait que peu d’illusions sur la
fidélité de Monsieur à la parole donnée. Le cardinal était alors fort mal
allant. Il ne faillait pas en bravoure, comme il le montra plus tard au siège
de La Rochelle, mais les haines fanatiques dont il était l’objet l’accablaient
de tristesse et minaient une santé que rongeait déjà son écrasant labeur. Il
soupçonnait, derrière les princes et les Grands qui complotaient sa mort, le
parti dévot qui ne lui pardonnait pas la politique anti-Habsbourg et antipapale
qu’il avait menée dans l’affaire de la Valteline.
Il était aussi fort tracassé par quelques froissements qui
s’étaient produits entre le roi et lui. Louis avait rassemblé une petite armée
(cinq mille hommes de pied et mille cavaliers) avec laquelle il avait décidé de
se rendre en Bretagne et, bien qu’on pût présumer qu’il allait mettre à la
raison le duc de Vendôme, il n’avait pas dit à son ministre ce qu’il comptait
faire de lui. En outre, avant
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